"C'était la première fois que j'entendais parler de ce taux", raconte à l'AFP cette Taïwanaise installée en France depuis près de 10 ans, qui espère que son courtier arrivera à trouver un arrangement avec sa banque.
Destiné à protéger les particuliers de conditions d'emprunt abusives, le taux d'usure, fixé chaque trimestre par la Banque de France, est relativement peu connu du grand public. Concrètement, aucune banque ne peut, tous frais compris, prêter à un taux supérieur à ce seuil calculé à partir des taux moyens accordés durant les trois mois précédents, augmentés de 30%.
Or, comme les taux de crédits immobiliers ont progressé de 36% à 70% en moyenne entre janvier et mai - d'après le courtier La Centrale de Financement - et que le taux d'usure est toujours calculé à partir des crédits accordés au premier trimestre 2022, de plus en plus de propositions dépassent ce barème légal.
Cette remontée "très rapide" et "inhabituelle", commente Maël Bernier, directrice de la communication, de Meilleurtaux, s'explique par la hausse des taux d'intérêt des emprunts de l'Etat français sur lesquels se basent les établissements bancaires.
Des heures de négociation
Dans le cas de Camille, la banque proposait un taux de 2,20% sur 25 ans, en ligne avec son budget et avec les normes financières qui imposent que le remboursement des mensualités d'emprunt par un foyer ne soit pas supérieur à 35% de son revenu net.
Mais une fois tous les frais ajoutés, le taux effectif annuel global (TAEG), qui sert de référence, s'élevait à 2,65%, soit bien plus que le taux d'usure actuellement fixé à 2,40%.
"On traite en moyenne cinq dossiers par mois et sur les cinq de ce mois-ci, tous ont eu des problématiques de taux d'usure", raconte le courtier de Camille, associé d'un petit cabinet indépendant et qui préfère rester anonyme.
Sur des dossiers où "l'on avait (auparavant) un accord automatique de toutes les parties, aujourd'hui on passe pratiquement deux ou trois heures à essayer de trouver une solution", explique-t-il.
Selon plusieurs courtiers interrogés par l'AFP, c'est entre 10% et 15% des dossiers qui ne pourront plus obtenir de prêt, sauf à revoir leur projet.
Principales victimes: les plus de 40 ans, pour qui "il est très difficile de ne pas dépasser le taux d'usure", explique Maël Bernier, car ils paient plus cher l'assurance emprunteur, qui couvre divers risques comme le décès, la maladie ou l'invalidité, protégeant à la fois les emprunteurs et les banques contre un éventuel défaut de remboursement.
10.000 euros de plus
Sophie, 51 ans, a failli en faire les frais. Malgré une offre de sa banque à 1,27% sur 25 ans - une durée d'emprunt rare à cet age - le TAEG dépassait le taux d'usure. Heureusement pour elle, la banque a revu légèrement à la baisse son offre, à 1,25%, ouvrant la porte à un TAEG à 2,39%, tout juste suffisant pour être dans les clous.
Alors que le taux d'usure ne sera recalculé qu'à partir du 1er juillet et que les taux devraient continuer de grimper d'ici là, Sylvain Lefèvre, président de La Centrale de Financement, plaide pour une suspension du taux d'usure, qui "n'est plus en corrélation avec la vraie vie économique", ou pour une redéfinition du mode de calcul.
Mais au-delà de la problématique concernant le taux d'usure, la hausse des taux touche tous les acheteurs, le coût des crédits immobiliers étant mécaniquement devenu plus élevé. Selon la Centrale de Financement, un crédit de 180.000 euros sur 20 ans à 1,45% coûtera, in fine, 27.446 euros. C'est presque 10.000 euros de plus que s'il avait été souscrit au début de l'année.
"Les projets dont le plan de financement est le plus tendu pourraient devoir être retravaillés", prévient Société Générale qui conseille de "bien vérifier auprès de son conseiller le plan de financement avant de s'engager".