Dans un rapport critique sur la politique de lutte contre les déserts médicaux, publié lundi, la Cour des comptes suggère "d'explorer" la piste de l'auto-déclaration, déjà mise en place dans plusieurs pays confrontés eux aussi à des pénuries de médecins.
Interrogé mardi matin sur TF1, le ministre délégué à la Santé Frédéric Valletoux a dit vouloir "ouvrir (ce sujet) avec les employeurs". "Il faut, avec les réseaux patronaux, discuter de la faisabilité de cette mesure, qui permettrait de libérer du temps médical", a-t-il déclaré.
Pour les Sages de la rue Cambon, la mesure supposerait l'instauration d'un ou deux jours d'absence qui ne pourraient pas être indemnisés. Actuellement, les trois premiers jours d'arrêt de travail ne sont pas indemnisés par l'assurance maladie, mais sont pris en charge par une majorité des entreprises (61%, selon une étude de la Drees de 2015).
"Nous n'y sommes pas favorables", indique-t-on au Medef. Pour l'organisation patronale, un arrêt maladie "doit rester fondé sur une justification médicale" et "c'est une mauvaise réponse à la question du manque de médecins".
"Ça peut être fait mais pas sans garde-fous", estime pour sa part le vice-président de la confédération des PME (CPME), Eric Chevée. Son organisation souhaite l'instauration de trois jours de carence d'ordre public, c'est-à-dire indemnisables ni par l'assurance maladie, ni par les mutuelles d'entreprise ou l'employeur.
La CPME voudrait aussi instaurer un plafond annuel de sept jours pour les arrêts auto-déclarés et empêcher qu'ils permettent l'acquisition de congés payés. Enfin, la mesure ne devra être que transitoire, le temps que la pénurie de médecins en France soit résorbée.
L'auto-déclaration préparerait "un transfert à l'entreprise du contrôle des arrêts maladie de ses propres salariés", juge le vice-président de l'Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) Benoît Serre. Ce n'est pas le type de lien qu'une entreprise souhaite avoir avec ses salariés, dit-il, y voyant une forme de "relation du soupçon".
"Danger"
La proposition est également rejetée par les syndicats.
Un arrêt maladie "est un acte médical qui nécessite un échange avec un médecin", qui peut éventuellement "se faire en visio pour pallier les difficultés liées aux déserts médicaux", réagit Isabelle Mercier pour la CFDT. Le premier syndicat s'élèverait "contre toute augmentation du délai de carence, qui est injuste et nuit aux plus fragiles".
Eric Gautron pour FO "redoute que cette +confiance+ accordée au patient par une auto-déclaration soit contrebalancée, voire +échangée+, contre un allongement des jours de carence".
"Cela va accroître la suspicion" contre les salariés en arrêt maladie, redoute de son côté Cyril Chabanier, le président de la CFTC. "Cela peut même conduire à mettre en danger des personnes qui ne verraient pas un médecin, sous-estimant leur état de santé", selon Denis Gravouil de la CGT.
Benoît Serre de l'ANDRH préconise plutôt "l'extension de ceux qui peuvent délivrer les arrêts de travail courts, comme les infirmiers ou les pharmaciens".
La proposition d'auto-déclaration est en revanche plébiscitée par le syndicat de jeunes médecins généralistes Reagjir. "La lutte contre les consultations inutiles pour motif purement administratif est sans aucun doute un levier majeur pour favoriser l'accès aux soins", dit-il, appelant à prendre exemple sur d'autres pays européens.
Au Royaume-Uni, la procédure d'auto-certification pour les arrêts de moins de sept jours, généralisée en 1985, est aujourd'hui "utilisée en routine" via un simple formulaire à remplir, le salarié "pouvant être rémunéré pour ses jours d'absence au-delà de trois jours", observe la Cour des comptes dans son rapport.
Outre le gain de temps médical, le gouvernement cherche des pistes d'économies, pour tenter de maîtriser la forte croissance des dépenses liées aux arrêts maladie, qui pèsent près de 16 milliards d'euros par an.