"Quand je mets un bus à disposition, il est rempli ! Aujourd'hui, il y a tout à faire pour les personnes âgées". Mirella Angèle, animatrice en gérontologie et médiatrice sociale de santé, a créé "Le plaisir des âges" en 2023. Thés dansants, sorties au restaurant ou à la plage, ateliers bien-être et esthétique: sa structure organise des sorties pour les seniors, une rare initiative locale dans ce qu'on appelle la "silver économie".
"L'objectif est de rompre leur isolement, de maintenir leur autonomie et leurs capacités cognitives", explique Mme Angèle, qui a longtemps travaillé dans ce secteur avant de lancer sa propre entreprise.
Le domaine est porteur: selon les prévisions de l'Insee, Martinique et Guadeloupe, jadis départements parmi les plus jeunes de France, deviendront respectivement le 1er et le 6e plus âgés en 2050.
D'ici à 2070, la part des 65 ans et plus doublera (39%) même, selon l'institut statistique. Un bouleversement dû à la hausse de l'espérance de vie et au recul de la fécondité, mais surtout au départ des jeunes, confrontés à un manque de perspectives économiques.
Un départ synonyme de révolution culturelle: la solidarité familiale, traditionnellement forte dans les territoires ultra-marins, diminue avec ces départs massifs - environ 3.000 par an en Guadeloupe.
Les personnes âgées dont Mirella Angèle s'occupe vivent souvent seules et à domicile. "Ils ont besoin d'activités qui leur permettent de renouer avec les autres", explique la quinquagénaire.
Des sorties essentielles, ajoute-t-elle, car ses protégés "ne conduisent plus" et sont souvent sans moyen de transport, dans un contexte social souvent difficile.
En Guadeloupe, 22% des retraités bénéficient du minimum vieillesse et 11% des seniors vivent sous le seuil de pauvreté guadeloupéen - différent du seuil de pauvreté national - de 790 euros mensuels.
Manque de main d'oeuvre
Un premier pas a été franchi en octobre, lors d'un séminaire sur la "silver économie" aux Abymes (Grande-Terre) qui a vu l'État, l'Agence régionale de santé (ARS), la région et le département signer un accord-cadre pour structurer cette filière.
Ce projet s'articule autour d'un pôle territorial de coopération économique (PTCE) qui doit permettre de coordonner les compétences locales et de répondre aux besoins spécifiques des seniors guadeloupéens.
Ludmilla Canourgues-Mangachoff, co-présidente du PTCE, insiste sur la nécessité de cette approche locale: "On sait qu'on va rencontrer des difficultés. Notre jeunesse part, on va manquer de main d'oeuvre, de formations et d'appétence pour ces métiers du +care+", prévient-elle.
Selon elle, ce pôle est essentiel pour anticiper les enjeux du vieillissement: "Nous ne pouvons pas attendre des solutions nationales pour résoudre nos problématiques locales".
Au niveau national, le vieillissement est intégré aux priorités de santé régionales depuis le plan de 2018, souligne pour sa part Laurent Legendart, le directeur de l'ARS Guadeloupe.
Il est crucial "d'adapter l'offre médico-sociale, que ce soit pour les soins à domicile, les SSIAD (services de soins infirmiers à domicile, NDLR), les soins de premier recours ou l'hébergement des personnes dépendantes", explique-t-il.
D'autant que les structures sont encore limitées. Dans les Outre-mer, "le parc des Ehpad est très vieillissant et (...) certains établissements sont très vétustes, voire délabrés", expliquait dans un rapport parlementaire l'ex-ministre Ericka Bareigts en 2020.
Arnaud Duranthon, sous-préfet en charge de la cohésion sociale, reconnaît que mobiliser les acteurs autour de la question du vieillissement reste difficile, car "l'attention politique se porte plus facilement sur les enjeux de la jeunesse".
Néanmoins, il prévient: la prochaine étape sera celle où "nous rencontrerons de plein fouet ce mur" du vieillissement. Sans anticipation de ce choc démographique, l'impact pourrait être dévastateur.