"Il ne faut pas que les politiques soient radicalement changées du jour au lendemain", avertit Étienne Wasmer, qui a fait jeudi un point d'étape sur les travaux qu'il mène avec son collègue Antoine Bozio - leurs recommandations au gouvernement sont attendues pour la fin juin. "Il n'y aura pas de formule magique", insiste M. Wasmer.
Une chose semble certaine: la baisse du taux de chômage depuis l'introduction des allègements de charge pour les salaires proches du Smic force l'exécutif à réimaginer ce dispositif pensé au début des années 1990.
"Cela avait beaucoup de sens à l'époque de dire que le problème du coût du travail se posait", avec un taux de chômage tutoyant les 20% pour les salariés les moins qualifiés et dépassant les 10% sur l'ensemble de la population active, soutient Étienne Wasmer.
"Le contexte actuel est assez différent", continue-t-il, avec un taux de chômage global qui a baissé à moins de 8%, mais "des poches résiduelles de chômage" qui persistent, notamment chez les actifs les plus jeunes et les plus âgés.
Le coût des allègements de charges a par ailleurs explosé, passant de moins de 0,5% du produit intérieur brut en 1993 à plus de 2,5% du PIB en 2022 (soit plus de 66 milliards d'euros).
Le calcul ne prend certes pas en compte les emplois créés - et les cotisations versées sur ces emplois - mais il interpelle, à l'heure où le gouvernement cherche 10 milliards supplémentaires d'économies à faire en 2024.
Les allègements de charges ont eu un autre effet pervers: Antoine Bozio relève la "surconcentration" croissante des emplois dans une fourchette allant de 1 à 1,6 Smic, soit celle où les allègements sont les plus généreux et où une augmentation salariale coûte le plus cher aux employeurs.
Aujourd'hui, 17% des salariés sont au Smic (1.398,69 euros net) contre 12% il y a trois ans.
De quoi accréditer le concept de "trappes à bas salaires" et de "smicardisation" des salariés: pour offrir 100 euros de salaire net en plus à leurs salariés à la rémunération proche du Smic, certains employeurs seraient ainsi contraints de débourser 400 voire 500 euros, certains allègements de charges disparaissant avec la hausse de salaire.
"Au bout d'un système"
La solution pourrait consister à cibler les allègements de charges sur les quelques "poches" de chômage résiduelles, plutôt que d'offrir des allègements sans distinction.
Fin mars, Gabriel Attal avait ainsi affirmé vouloir "revoir le système des allègements de cotisations" patronales pour que cela incite "davantage à augmenter" les bas salaires.
Pour Étienne Wasmer, ces politiques plus ciblées "sont des choses auxquelles on doit réfléchir".
Antoine Bozio renchérit: "La Suède a mis en place des dispositifs de réductions de cotisations employeurs pour les moins de 25 ans, il y a eu des effets très nets et durables sur l'emploi" de cette frange de la population particulièrement affectée par le chômage.
Autre exemple, "la Finlande a mis en place des exonérations sur des régions où le taux de chômage était le plus élevé. A la mise en place, les effets ont été assez modestes en termes d'emploi, mais quand la crise de 2008 est arrivée, ça a eu un effet très protecteur".
Selon Étienne Wasmer, les organisations syndicales et patronales s'accordent sur un point: "On est arrivés au bout d'un système".
Mais attention à ne pas faire "d'à-coup trop brutal", le patronat se plaignant régulièrement de "l'instabilité du système" socio-fiscal.
Sans faire de recommandations formelles à ce stade, les deux économistes suggèrent de faire monter en gamme les emplois déjà pourvus, et d'accentuer la hausse du taux d'emploi.
Un second objectif partagé par le gouvernement, qui entend durcir à nouveau les règles d'indemnisation du chômage pour renforcer les incitations à reprendre un emploi.
"On est deux universitaires, on n'est pas au gouvernement", souligne Antoine Bozio. "On va répondre à la mission du mieux possible, ensuite le gouvernement s'en emparera ou pas."