Chevelures blanches, allures très élégantes, casiers vierges, les époux Badache, aujourd'hui âgés de 68 et 70 ans, sont des prévenus inhabituels. Jugés depuis lundi et jusqu'en juin avec 13 autres prévenus, dont un avocat et trois notaires, ils sont pourtant accusés d'une escroquerie en bande organisée qui a floué quelque 760 parties civiles, dont beaucoup de médecins, qui pensaient se constituer un patrimoine à moindre frais.
Quand ils créent la société Apollonia à la fin des années 90, ils ont une quarantaine d'années. Lui a été commerçant, vendeur de chaussures notamment, mais a fait faillite. Elle était esthéticienne. Au chômage, monsieur Badache, issu d'un milieu ouvrier et fort d'une qualification de fondeur pour unique diplôme, se lance alors dans l'immobilier et la défiscalisation.
Sa femme commence à l'épauler et rapidement ils souhaitent créer leur entreprise pour faire la même chose mais avec l'aide d'un avocat, René Spadola.
Avec ce business de vente de lots de programmes immobiliers éligibles au dispositif de "loueurs meublés professionnels" (LMP), fiscalement avantageux, ils vont gagner beaucoup, beaucoup d'argent. Combien ? Il fait mine de ne pas s'en souvenir : "Je vais peut-être vous faire tous sourire. L'argent, j'en avais gagné, donc j'en avais rien à faire".
Avec une commission de 15% prélevée sur chaque investissement effectué par les centaines de clients harponnés par des promesses de rendement faramineux, ce seront des dizaines de millions d'euros. De 1997 à 2009, la société aixoise a en effet procédé à la vente de 5.305 lots pour près de 950 millions d'euros.
Beaucoup d'argent donc, pour "payer beaucoup beaucoup d'impôts", rappelle Jean Badache. De quoi pousser le couple à aller vivre en Suisse au milieu des années 2000.
"La Suisse, c'est pas parce qu'on aimait la neige, je suis du sud", mais "j'en avais marre des impôts" et "ras le bol d'avoir des commerciaux qui vivaient de leurs rentes qui encaissaient plusieurs millions de revenus sans trop d'efforts", lance-t-il.
Dans la salle, les victimes rient jaunes, dont certains qui ont tout perdu, jusqu'à plusieurs millions, pour acheter des lots. Apollonia, qui gérait tout pour ses clients, contractaient pour eux des emprunts auprès de plusieurs banques, allant jusqu'à falsifier leurs relevés bancaires pour maquiller leur endettement grandissant.
Des SCI aux noms de chiens et chats
Chalet en Suisse, demeure à Marrakech, les Badache emmagasineront eux jusqu'à 50 biens immobiliers derrière des sociétés aux noms de leurs différents animaux de compagnie : Chipie, Opaline, Sultan, Paco, Balou...
"Et Apollonia, c'est pas le nom d'un chat ?", demande la présidente du tribunal correctionnel de Marseille, Azanie Julien-Rama.
"C'est le nom d'une voie romaine", lui répond Viviane Badache, d'un ton assuré.
Aujourd'hui, malgré les multiples saisies et procédures dont ils font l'objet, ils vivent toujours dans une villa dotée d'un terrain de 6.000 m2 à Cassis qui occupe beaucoup Monsieur Badache. "Je suis devenu jardinier de ma maison, ce qui n'est pas inintéressant, mais à 70 balais, c'est fatigant".
Quant aux faits qui leurs sont reprochés, les deux principaux prévenus en rejettent en bloc la responsabilité sur leurs co-prévenus. "Je n'ai pas été suffisamment méfiante et je reconnais peut-être m'en être remise un peu trop aux salariés en qui j'avais une entière confiance, aux commerciaux et à Monsieur Spadola", dit Viviane Badache.
Jean Badache assure lui avoir uniquement usé de ses compétences de redoutable commercial, laissant les questions fiscales et juridiques aux autres : "J'étais comme le chirurgien, on préparait le corps, je faisais ce que j'avais à faire et je partais", ose-t-il, devant un parterre de médecins.
Avant d'ajouter que pour lui, dans ce dossier, "y'a deux personnes cupides qui se rencontraient, celui qui vendait et celui qui achetait".
"Victimisation", répond en marge de l'audience Me Christophe Jervolino, qui défend 195 familles. "Il savait très bien ce qu'il faisait, il savait très bien compter à cette époque-là et il a su endetter nos clients", ajoute l'avocat, interrogé par l'AFPTV.