
Si la ministre du Logement reconnaît que « l’écrasante majorité » fait son travail « avec compétence et impartialité », elle vient néanmoins d’annoncer que les contrôles des diagnostiqueurs seraient multipliés par quatre[1]... Ou comment toute une profession paie pour quelques praticiens peu scrupuleux.
Petit rappel aux agnostiques du diagnostic
Le DPE est un outil de notation qui évalue la performance énergétique du bâti. Quand on lui reproche, par exemple, la différence entre son estimation et les factures réelles, on se méprend à la fois sur ses ambitions et ses moyens. D’abord, parce qu’il n’a pas vocation à prédire les consommations réelles, mais à guider la mise en œuvre de gestes de rénovation pour aller vers davantage de sobriété énergétique. Ensuite, parce qu’il évalue la performance intrinsèque d’un logement, c’est-à-dire indépendamment de l’usage, et ce, pour une raison simple : les habitudes de consommation changent d’une personne à une autre.
De fait, le DPE a été réformé à plusieurs reprises pour corriger ses défauts et améliorer sa précision. La version actuelle, entrée en vigueur en 2021, repose sur des critères plus stricts et des méthodes de calcul mieux définies, en particulier la norme 3CL (pour Calcul de la Consommation Conventionnelle des Logements) qui retire du calcul les factures de consommation afin de supprimer un biais qui impactait la note. La mise à jour continue de ces méthodes et des référentiels vise à rendre le DPE encore plus fiable. Or les critiques tiennent rarement compte de ces évolutions, comme si ce système d’évaluation devait sans cesse s’amender et faire la preuve de son objectivité, voire de son innocuité. Mais que lui reproche-t-on au juste ?
Pics et effets de seuils
Depuis que les notes du DPE sont devenues contraignantes pour les propriétaires de passoires thermiques (étiquettes F et G), certains d’entre eux, désireux de louer leur bien sans passer par la case rénovation ou de le vendre à meilleur prix, s’arrangeraient avec le diagnostiqueur pour surclasser le logement. Des pics suspects aux seuils énergétiques sur l’ensemble des DPE réalisés, en particulier avant les fameuses lettres F et G, en seraient une preuve suffisante... De là à conclure que ces pics sont nécessairement le fait de DPE « de complaisance », et donc de pratiques frauduleuses, il n’y a qu’un pas, que certains n’ont pas hésité à franchir.
Heureusement, plusieurs études sont venues réfuter la thèse d’une fraude généralisée[2] et apporter un éclairage bienvenu sur les causes, diverses, des pics observés aux seuils de classe, comme la méthodologie ou la loi statistique utilisée, l’effet des rénovations ciblées ou encore les modes de constructions standardisés (consommations similaires de logements construits sous les mêmes réglementations thermiques). Beaucoup de bruit pour rien, ou si peu : si les pratiques complaisantes existent, comme dans tout système d’évaluation (contrôle technique, notes du bac, etc.), les diagnostiqueurs seraient plutôt (très) bons élèves.
Des progrès remarquables, bientôt remarqués ?
Une étude récente du Conseil d’analyse économique (CAE)[3] montre ainsi comment la réforme visant à fiabiliser les DPE a porté ses fruits et réduit à la portion congrue la part des évaluations manipulées : avant 2021, 3,9% des diagnostics étaient suspects et se trouvaient dans une catégorie plus favorable ; après la réforme, qui a également rendu les DPE opposables, engageant donc la responsabilité juridique des propriétaires et des diagnostiqueurs, la proportion des diagnostics soupçonnés d’être manipulés aux seuils a baissé à 1,7%. Peut mieux faire ? Sans doute, mais il me semble qu’à plus de 98% d’évaluations bien menées, on peut se dispenser de remettre en question la déontologie et l’intégrité de toute une profession.
Souvent critiquée du fait des agissements d’une minorité peu scrupuleuse, la filière des diagnostiqueurs mérite une appréciation plus juste de son travail et du chemin parcouru : les défauts qu’on lui reproche ont été corrigés ; la filière s’est rapidement professionnalisée et tout est mis en œuvre pour contraindre les « complaisants » à la rigueur attendue (renforcement des contrôles, harmonisation des examens pour les organismes de formation et obligation de présentiel, digitalisation du parcours DPE, etc.). Bref, les diagnostiqueurs sont aujourd’hui mieux formés, mieux accompagnés, mieux outillés et mieux encadrés : souhaitons qu’ils soient demain mieux considérés.
[1] https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/documents/19.03.2025_DP_DPE.pdf
[2] Voir notamment le Focus du CAE de juin 2024, intitulé « Les effets des réformes du DPE sur sa fiabilité » (www.cae-eco.fr/staticfiles/pdf/focus-105-fiabilite-dpe-240619.pdf), et l’étude du mathématicien Antoine Le Calvez, qui date de janvier 2025 (https://alc.io/fr/posts/2025-01-04-analyse-dpe-complaisance/).
[3] https://www.cae-eco.fr/staticfiles/pdf/focus-105-fiabilite-dpe-240619.pdf
Tribune de Mickaël Cabrol, CEO fondateur de Enersweet (Linkedin).