La digitalisation du secteur du bâtiment s'articule autour de deux axes distincts :
- Le suivi ou contrôle des travaux, où le digital est déjà relativement présent et développé. Avec, par exemple, des applications de gestion de chantiers, qui permettent de relever l'avancement d'un chantier, de capturer les malfaçons, d'échanger avec ses différents interlocuteurs et de coordonner les travaux ;
- L'exécution des travaux, encore très peu automatisée. C'est notamment le cas pour les opérations de peinture.
Des freins structurels à surmonter
Selon l'INSEE, le BTP opère avec des marges réduites de 19%, contre 26% dans l'industrie manufacturière, limitant considérablement sa capacité d'investissement en innovation[1].
Face à une culture et des contraintes différentes de celles de l'industrie, les fournisseurs de solutions technologiques pour le bâtiment ont innové en proposant des modèles de paiement à l'usage (ex : location de matériels ou SAAS pour le logiciel), rendant ainsi leurs offres plus accessibles et flexibles pour le secteur du BTP.
Concernant les peintres en particulier, le marché est d'autant plus complexe qu'il s'agit d'un secteur assez traditionnel. De même, les métiers de la construction sont historiquement des métiers à faible intensité capitalistique, surtout basés sur le facteur main d'œuvre et ne nécessitant structurellement pas de lourds investissements, comme dans l’industrie.
Ces niveaux d'investissement limités impactent la disposition du secteur à se réinventer, à se développer et freinent sa croissance, en limitant l'innovation, les gains de productivité et la capacité des entreprises à répondre à une demande sans cesse évolutive.
En effet, sur les 50 dernières années, la hausse annuelle de productivité dans le secteur de l'Industrie a été de 3 à 4% en moyenne, alors qu'elle n'a été que de moins de 1% par an dans le secteur du bâtiment[2], notamment, car le bâtiment reste très dépendant des process artisanaux, ce qui limite la progression de la productivité.
Avant de vouloir industrialiser et automatiser les méthodes du bâtiment, il faut d'abord changer la perception d'une filière entière.
Des opportunités concrètes : un nouveau paradigme économique
En changeant de perspective, on s'aperçoit surtout que les investissements représentent des leviers de croissance grâce à une baisse des coûts et à une hausse de la productivité.
Par ailleurs, outre la prise de conscience des avantages qu’apportent les nouvelles technologies, la clef pour l'adoption est la présence d'ambassadeurs, de lobbyistes et de soutiens convaincus pour engager et mobiliser toute la profession dans ces changements structurels. La répartition de la valeur est alors fondamentale, chaque acteur devant y dégager un bénéfice, en augmentant les marges pour les sous-traitants, et en diminuant les coûts tout en augmentant la qualité pour le donneur d'ordres.
L'automatisation de la prestation de peinture résout une problématique majeure des chantiers : la coactivité. En confiant certaines tâches aux machines, capables d'opérer en horaires décalés, on réduit considérablement les interférences entre les différents corps de métier devant travailler simultanément. Le gain de performance alors obtenu n'est pas seulement le fait des caractéristiques intrinsèques de la machine, mais aussi et surtout de l'organisation revue et optimisée qui en découle. Ce dernier point témoigne qu'au-delà des machines, ce sont également les process et les méthodes de production qu'il faut optimiser afin d'industrialiser la production des bâtiments.
Les métiers de finition face au défi commun de l'automatisation
Contrairement à l'usine, environnement standardisé et optimisé pour la production, le chantier présente des conditions variables et imprévisibles. Par définition, les artisans, en particulier les peintres, derniers acteurs de ce concerto, doivent s'adapter à des configurations à chaque fois différentes et changeantes. Ceci explique qu'il y ait plus de quarante ans d'écart entre l'introduction des robots industriels et le déploiement des premiers robots dans le secteur du bâtiment.
L'automatisation du métier de peintre marquera un nouveau tournant dans les méthodes de production du second œuvre dans le secteur du bâtiment.
Si les aspects de planification ont déjà pris le virage de la digitalisation, certains corps de métier adoptent doucement l'automatisation. Les terrassiers ont épousé le machinisme, les maçons commencent à utiliser des imprimantes 3D et des exosquelettes pour les aider, les plombiers et électriciens récoltent la donnée, augmentant la valeur ajoutée de leurs interventions. Seuls les métiers de finition (plâtriers, plaquistes, peintres) restent à intégrer dans cette révolution technologique.
La robotique a toute sa place pour les assister dans les tâches laborieuses comme l'enduit, le ponçage ou encore la peinture de grands pans de murs. Pour lever ces obstacles, un modèle économique émerge : la location d'équipements technologiques facturée au m², permettant d'accéder à l'innovation sans investissement massif. Cette pratique permet de dérisquer quasi totalement l'investissement pour l'utilisateur du robot : si la machine ne produit pas selon les performances attendues, l'utilisateur ne paiera qu'à hauteur du service rendu.
Le modèle de location est lancé et se structure, les industriels sont prêts, soutenus par les institutions et les fédérations, comme la chambre syndicale FFB-GESTES ou la FFB-UPMF qui se sont récemment engagées sur ces sujets. L'enjeu actuel est de mobiliser l'ensemble des acteurs : filière, constructeurs et artisans peintres, autour de cette révolution technologique.
Puisque la technologie est maintenant disponible, l'enjeu actuel s'oriente naturellement sur les premiers grands déploiements. Le défi du moment est de parvenir à faire émerger des partenaires pionniers. Les modèles économiques de service à l'usage, de type location de robots avec support, formation et accompagnement, aussi appelés Robotic As A Service (RAAS), semblent être un outil pertinent qui convainc déjà de premiers peintres.
[1] Taux de marge − Les entreprises en France | Insee
[2] Évolution tendancielle de la productivité du travail en France, 1976-2018, N°2020-18 décembre, France Stratégie
[3] Réindustrialisation de la France à l’horizon 2035 : besoins, contraintes et effets potentiels N°2024-02 juillet, France Stratégie
[4] Bâtiment : une crise de productivité faite maison
Tribune de Antoine Rennuit, fondateur et PDG, Les Companions (Linkedin).