Dans son programme de stabilité - un plan budgétaire sur plusieurs années récemment envoyé à Bruxelles - l'exécutif s'attend à ce que le taux d'épargne des ménages recule légèrement en 2024, à 17,2% de leur revenu disponible brut (RDB), contre 17,6% en 2023.
En 2025, le pourcentage de leurs revenus que les Français mettent de côté diminuerait plus fortement, à 16,5%. Le gouvernement espère que cet argent non épargné soit dépensé et vienne soutenir la consommation des ménages, un des plus puissants moteurs de la croissance française.
Mais pour le directeur des études du groupe BPCE Alain Tourdjman, "il est difficile d'influer sur le comportement des ménages".
Pour cette raison, "il faut plutôt s'attendre à une baisse graduelle et progressive du taux d'épargne plutôt qu'à un recul très rapide" comme l'espère le gouvernement.
Dans une étude publiée lundi, BPCE table sur une stabilisation de cet indicateur à 17,5% du revenu des ménages en 2024, une estimation proche de celle de l'Insee (17,9%).
L'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), encore plus pessimiste, s'attend à ce que le taux d'épargne grimpe à 18,1% en 2024 avant de refluer à 17,5% en 2025.
Les sommes en jeu sont considérables: une baisse d'un point du taux d'épargne injecterait plus de 17 milliards d'euros dans l'économie française, illustre Dorian Roucher, chef du département de la conjoncture à l'Insee.
Un retour au taux d'épargne historique de 15%, qui a longtemps prévalu avant que la pandémie de Covid-19 puis l'envolée de l'inflation n'incitent les Français à garnir davantage leur bas de laine, correspondrait à une augmentation de "35 à 50 milliards d'euros" de la consommation des ménages, poursuit-il.
"C'est beaucoup", conclut Dorian Roucher, alors que le PIB français a atteint 2.639 milliards d'euros en 2022.
"Changement durable" des comportements
Selon Alain Tourdjman, "pour obtenir cette baisse du taux d'épargne, il faudrait créer les conditions d'une plus grande confiance dans l'avenir économique du pays (...), dans la capacité à ce que les jeunes aient des emplois correctement rémunérés"...
Or la France est "l'un des pays les plus pessimistes quant à l'avenir collectif", constate-t-il.
La donne est radicalement différente aux Etats-Unis, où la "foi dans l'avenir" est "un peu consubstantielle à l'état d'esprit du pays", souligne M. Tourdjman. Le taux d'épargne des Américains a d'ailleurs reculé beaucoup plus rapidement qu'en Europe depuis la crise sanitaire.
Mais le pessimisme des Français n'explique pas tout.
Parmi les facteurs qui poussent les ménages à épargner, Dorian Roucher cite aussi "l'effet d'encaisses réelles": un terme technique qui signifie que pour compenser l'inflation qui diminue la valeur réelle de leur épargne, les ménages mettent plus d'argent de côté.
L'OFCE abonde dans ce sens: "si les ménages épargnent plus depuis quatre ans, le pouvoir d'achat" associé à cet argent qui sommeille "n'est pas pour autant plus élevé, ce qui ne va pas pousser les ménages à puiser dans une surépargne qui a fondu" à cause de l'inflation.
Enfin, un certain montant de l'épargne supplémentaire accumulée depuis la pandémie correspond à une "épargne de précaution", directement liée à l'"environnement d'incertitude généralisée", rappelle Alain Tourdjman.
Depuis 2018, les crises se sont en effet succédé: "gilets jaunes", pandémie, guerre en Ukraine, inflation, énumère-t-il.
La France n'est d'ailleurs pas un cas isolé, le taux d'épargne ayant grimpé dans de nombreux pays d'Europe comme l'Espagne, dont les habitants sont d'habitude moins enclins à la thésaurisation que les Français, fait valoir Dorian Roucher.
Le gouvernement confesse lui-même ne pas avoir totalement percé les mystères du taux d'épargne.
Son maintien "à un niveau toujours largement supérieur à sa moyenne de long terme pose la question d'un changement durable des comportements de consommation", écrit-il dans son programme de stabilité.