Dans une capitale vibrionnante en pleine mutation, l'étrange monument a connu des multiples vies et l'abandon. Mais dès l'automne, les adolescents de Tirana y prendront des cours de modélisation 3D, de programmation ou encore de design numérique sur du matériel dernier cri.
L'Albanie, où les salaires sont bas et le chômage élevé, connaît comme ailleurs dans les Balkans l'exode massif de ses habitants à la recherche d'opportunités qu'ils ne trouvent pas à la maison.
"Ce qui servait à glorifier le passé d'un individu est complètement renversé, cela devient un lieu destiné à éduquer les gens, pas consacré à une personne mais à des milliers", dit à l'AFP Martin Mata, co-président de la Fondation albano-américaine pour le développement (AADF), un des acteurs du projet.
La pyramide revisitée, un projet à 15 millions d'euros cofinancé par l'AADF et les autorités albanaises, abritera un centre d'éducation pour former les jeunes Albanais au tout digital après l'école, avec l'espoir d'attirer 4.000 élèves par semaine.
"C'est de l'argent bien placé", poursuit Martin Mata. "Si dans 10 ans, on s'aperçoit que 200.000 enfants y ont participé et si 30% d'entre eux choisissent une carrière grâce à ce qu'ils auront appris, ça sera mission accomplie".
Mastodonte brutaliste
Le monument en plein coeur de Tirana a eu plusieurs vies avant d'être transformé par les cabinets d'architectes néerlandais MVRDV et albanais iRI en immense structure toute blanche, sur laquelle grimpent touristes et curieux en attendant l'ouverture de l'espace intérieur fin septembre.
Le mastodonte brutaliste est sorti de terre comme musée à la mémoire d'Enver Hoxha quelques années après sa mort en 1985. A l'intérieur du monument gris plomb, trônait une immense statue du dictateur paranoïaque qui régna pendant quatre décennies sur le pays hermétiquement clos.
Après la chute du communisme en 1991, le musée avait fermé ses portes.
Puis, il abrita des bureaux de l'Otan, des cafés, une boîte de nuit, un studio de télévision... Un projet de théâtre avait échoué faute de fonds et la pyramide avait été abandonnée de tous pendant de longues années, à l'exception des aventuriers qui escaladaient ses parois pour la vue imprenable sur Tirana.
Aujourd'hui, la pyramide relookée, avec de grandes baies qui laissent entrer la lumière, permet toujours aux gens de monter jusqu'au sommet mais de façon plus sûre, via des marches d'escaliers.
"Nous ne voulions pas rénover la pyramide à l'identique", souligne Gent Agolli, architecte chez iRi. "Notre ambition c'était de l'ouvrir au public, d'en faire la pyramide du peuple à la fois à l'extérieur et à l'intérieur", dit-il à l'AFP.
"Ouverture"
En fait, les cours d'éducation digitale ont commencé en 2020 ans dans la tour noir et rouge du complexe du stade national de football à Tirana. Ce programme d'éducation numérique dit Tumo, expérimenté également dans des villes comme Erevan, Paris, Beyrouth ou Berlin, accueille jusqu'à présent un millier de jeunes par semaine.
"Toutes les connaissances acquises ici leur seront utiles maintenant mais surtout à l'avenir, quelle que soit la profession qu'ils exerceront à l'avenir", explique à l'AFP Shqipe Berisha, 41 ans, directrice de Tumo Tirana.
En septembre, les adolescents, leurs coaches et les intervenants professionnels seront tous logés dans la pyramide.
La structure de 12.000 mètres carrés compte aussi à l'intérieur et à l'extérieur une cinquantaine de cubes multicolores qui seront loués à des entreprises du secteur, bars et autres cafétérias. Les revenus serviront à subventionner Tumo Tirana afin de rendre les cours les plus accessibles possibles pour les familles albanaises.
Aux yeux de Shqipe Berisha, le lieu colle parfaitement au passé mouvementé de l'Albanie. "C'est comme un miroir, nos parents essayaient d'expliquer le régime, de mon temps on faisait des glissades sur les pentes, après la pyramide était en morceaux car l'Albanie était en morceaux. Maintenant, elle est ouverte et reflète l'ouverture du pays".
Amina Xhembulla, 15 ans, apprend le graphisme. "C'est une super façon de s'occuper", dit-elle. "On utilise des technologies qu'on n'a pas à l'école".
Comme on lui demande son avis sur les heures sombres de la pyramide, elle hausse les épaules et se retourne vers son écran géant: "je ne sais pas grand chose de l'Histoire".