Un constat partagé par Régis Largillier, ancien cadre de Schneider Electric et animateur de la chaire HOPE, en pointe dans la recherche de solutions pour contrer ce fléau qui touche près d'un Français sur cinq : selon lui, il faut un véritable "accompagnement" des familles les plus gravement touchées.
"Pour parvenir à un réel changement d'échelle sur le volet de la rénovation et de la lutte contre la précarité énergétique, l'information et l'accompagnement des ménages sont également indispensables", souligne ainsi la fondation Abbé-Pierre, qui constate que le réseau FAIRE, créé en septembre 2018 pour guider les particuliers, connaît encore de "nombreuses défaillances".
Selon une enquête menée par la fondation au premier semestre 2021, appels non décrochés, délais de réponse à rallonge, erreurs dans les conseils délivrés sont monnaie courante.
Un constat d'autant plus dommageable que, comme le relève M. Largillier, la "complexité" des différentes aides est telle, "que ce soit au niveau national, européen, ou même régional, que les gens ne comprennent plus rien, ne savent plus".
"Ce qu'il faut, au-delà des aides, c'est qu'il y ait un accompagnement. Un accompagnement, avec des gens formés, qui connaissent les différents types d'aides, c'est essentiel", explique M. Largillier.
Il s'appuie notamment sur une étude menée en 2020 par des chercheurs de l'université de Grenoble-Alpes sur la précarité énergétique dans l'agglomération de Roanne (Loire), lors de laquelle 78% des personnes sondées ont indiqué qu'elles ne connaissaient pas les aides financières à la rénovation thermique.
Cette méconnaissance entraîne souvent un "non-recours aux droits" de la part des usagers, "parce que les droits sont peu connus, peu connus des usagers, bien sûr mais peu connus aussi dans l'ensemble des institutions, des travailleurs sociaux, des collectivités territoriales qui devraient accompagner les gens qui sont en précarité énergétique", souligne M. Largillier.
La fondation Abbé-Pierre pointe par ailleurs l'évolution des dispositifs d'aides "qui gonflent les chiffres du nombre de travaux enclenchés en ciblant de simples "gestes" de rénovation, peu efficaces s'ils restent isolés (changer la chaudière, isoler les combles, changer les fenêtres...), au détriment de la performance à long terme d'une rénovation globale".
La "honte" d'être précaire
Selon une évaluation du plan France Relance menée par France Stratégie, organisme rattaché à Matignon, "86% des travaux financés avec MaPrimeRenov' ne concerneraient qu'un geste de rénovation (changement de chaudière, isolation...), les rénovations globales ne représenteraient que 0,1% des dossiers et les sorties de passoires 0,2%...", souligne le rapport de la fondation.
Dans cette étude, France Stratégie estimait cependant que "certains mono-gestes peuvent être efficients, en permettant de dégager des économies d'énergie significatives", prenant l'exemple de l'installation des pompes à chaleur air/eau.
En attendant de pouvoir changer réellement la donne par des travaux, le versement d'aides aux ménages pour le paiement des factures demeure crucial.
De ce côté-là, le compte n'y est pas non plus, selon la fondation Abbé-Pierre, même si elle salue un élargissement du "chèque énergie" à "deux millions de ménages bénéficiaires supplémentaires et une revalorisation du chèque de 50 euros en 2019 suite à la crise du mouvement des gilets jaunes".
"En 2020, le montant moyen du chèque énergie était toujours de 148 euros, alors que la facture énergétique pour le logement était en moyenne de 1.602 euros par an en 2019. En décembre 2021, un second chèque de 100 euros a exceptionnellement été envoyé pour pallier la hausse des prix du gaz et de l'électricité", rappelle la fondation.
De plus, relève-t-elle, "le taux de non-recours concerne encore un cinquième des bénéficiaires".
"Ceux qui en ont vraiment besoin ne l'utilisent pas", confirme M. Largillier, selon qui les ménages plus concernés ne souhaitent pas "être redevables de l'Etat" ou que cela se sache dans leur entourage : "il y a plein de raisons liées à la honte d'être précaire", voire la crainte de recevoir une lettre qui vient de l'Etat, annonciatrice d'une mauvaise nouvelle, comme un avis d'expulsion.
Un aspect qui justifie d'autant plus le besoin d'"accompagnement", selon M. Largillier.