"C'est une façon de voir les choses", sourit sa correspondante, spécialiste de la cohabitation intergénérationnelle, à l'autre bout du fil.
Quelques minutes plus tard, Delphine, retraitée aussi attachante que bougonne, se laisse convaincre d'accueillir chez elle la jeune Agnès, et la pièce de théâtre "Adopteunjeune.com" s'achève dans la petite salle municipale de Mâcon.
Une responsable de la Mutualité fonction publique (MFP) - une union de 18 mutuelles de fonctionnaires qui co-organise une tournée d'une vingtaine de représentations à travers la France - s'empresse de collecter les formulaires distribués aux spectateurs avant le début de la pièce.
Cinq d'entre eux acceptent finalement d'être recontactés pour éventuellement héberger de jeunes professionnels qui peinent à se loger.
Face aux difficultés de logement des jeunes fonctionnaires, la MFP a misé sur le théâtre pour promouvoir le dispositif de cohabitation intergénérationnelle.
Encadré par la loi Elan de 2018, le principe est simple: un senior généralement âgé de plus de 60 ans accepte d'héberger un jeune, le plus souvent âgé de moins de 30 ans. Ce dernier acquitte un loyer modeste et peut également s'engager à passer des moments conviviaux (repas, sorties culturelles...) avec la personne qui l'accueille.
Un système gagnant-gagnant en apparence, mais "est-ce que j'ai envie de revivre les douches qui durent une heure, les lumières qui restent allumées, et les copains qui vont et viennent à toute heure?", s'interroge Delphine (dont le rôle est joué par l'auteur de la pièce Pierre de Nodrest), coiffée d'une perruque grise et vêtue d'un tablier à fleurs.
La cohabitation est encadrée par "une charte des droits et des devoirs" et une "convention d'hébergement", tente de la rassurer sa correspondante Jeanine.
Loyer attractif
Cohabitantes depuis le mois d'août 2023 à Quiévrechain (Nord), près de Valenciennes, Urjita Jaisinghani et son hébergeuse Maryse Haroux sont enchantées de cette expérience.
"On partage les moments quotidiens, on mange ensemble, on range la cuisine ensemble à la fin de la journée", énumère auprès de l'AFP Urjita, professeure d'anglais de 24 ans.
Technicienne de recherche à l'université de Valenciennes, Maryse, sexagénaire, renchérit: "Au début, elle voulait chercher (un logement, NDLR) sur Valenciennes donc elle avait dit +un mois maximum+" de cohabitation. "Finalement, elle reste jusqu'au mois de juin!", se réjouit Maryse.
A 230 euros mensuels charges comprises (contre "500 à 550 euros pour un meublé" sur le marché local), le loyer est attractif, souligne Valentin Parage, de l'association Génération et Cultures, qui a mis en relation Urjita et Maryse.
Hébergée par une septuagénaire de Douai pendant sa première année d'enseignement, la Dunkerquoise Cloé Planckeel a payé encore moins cher (50 euros par mois) et se réjouit elle aussi d'avoir rencontré "une personne incroyable", avec qui elle assure même avoir pris "des cours d'italien".
Si le réseau Cohabilis, qui fédère 50 associations spécialisées dans la cohabitation intergénérationnelle en France, revendique le succès du dispositif, il ne suffit pas à loger tous les jeunes fonctionnaires en difficulté.
Un peu moins de 2.000 "binômes" de jeunes et de seniors sont formés chaque année par les associations membres du réseau, alors que la fonction publique comptait en 2021 (dernières données disponibles) plus d'un demi-million d'agents de moins de 30 ans. Et les quelque 2.000 binômes annuels englobent non seulement les jeunes agents publics, mais aussi des salariés du privé en début de carrière.
A Mâcon, Delphine a été séduite. "Agnès, la petite que m'a envoyée l'association, elle n'est pas parfaite", grommelle la retraitée devant une salle conquise par son humour vachard. "Mais en même temps elle est très gentille, très attentionnée aussi!", raconte-t-elle au téléphone à sa fille Camille.
Depuis le début de la tournée d'"Adopteunjeune.com" en mars, la MFP a recensé quelques dizaines de spectateurs à chaque représentation. Avec un succès inégal: si 10 personnes ont accepté d'être recontactées à Bourg-en-Bresse, un seul spectateur s'est manifesté à Caen et Orléans.