"On agit pour mettre fin aux agissements de ces escrocs parce que ce sont (...) des exploitants de misère", déclarait fin août Julien Denormandie, secrétaire d'Etat à la Cohésion des Territoires, lors d'une visite dans un immeuble d'Ivry-sur-Seine.
Le terme de "marchand de sommeil" n'a pas de définition juridique mais l'immeuble illustrait la notion de "conditions d'hébergements incompatibles avec la dignité humaine", présente, elle, au Code pénal.
Les appartements étaient insalubres - de l'eau s'écoulant dès qu'il pleut - et loués au prix fort - plus de 1.000 euros pour quelque 60 mètres carrés - à des occupants amassés dans des espaces proportionnellement petits pour leur nombre.
Les propriétaires de tels logements, dont l'Etat estime à 420.000 le nombre en métropole, "c'est des escrocs, c'est des bandits, c'est des criminels et on va les traiter comme des trafiquants de drogue", a insisté M. Denormandie.
Ces considérations sont au programme de la vaste loi "Elan" sur le logement, qui entre dans sa dernière ligne droite législative le 19 septembre avec une commission réunissant députés et sénateurs.
La loi prévoit notamment d'instituer une "présomption de revenus" pour les propriétaires condamnés, dans l'idée que les loyers, souvent perçus en liquides, sont intraçables: comme les trafiquants de drogue, ils ne pourront plus se dire insolvables pour éviter de payer des amendes.
Signe de l'aspect consensuel du sujet dans la classe politique, le texte, qui prévoit aussi d'interdire pendant plusieurs années l'acquisition de nouveaux biens immobiliers aux condamnés, reprend plusieurs amendements déposés par l'opposition communiste à l'Assemblée.
Un épouvantail depuis Balzac
Pourtant, "les marchands de sommeil par rapport à la question du mal logement, ce n'est vraiment rien", juge auprès de l'AFP l'économiste Didier Vanoni, qui collabore régulièrement avec la fondation Abbé-Pierre. "On peut se poser la question de l'efficacité de toutes ces gesticulations juridiques."
Selon M. Vanoni, qui juge surtout nécessaire de construire des logements et de mener des opérations de longue haleine en matière de rénovation urbaine, le "marchand de sommeil" et ses ancêtres ressurgissent depuis plus d'un siècle comme épouvantails d'une situation économique plus large.
"Quand on reprend la littérature classique, Eugène Sue, Victor Hugo ou Honoré de Balzac, ça apparaît toujours quand on a un marché de l'immobilier tendu et une population pauvre", insiste-t-il.
Corollaire de cette permanence dans l'opinion publique, les dernières annonces du gouvernement, présentées par M. Denormandie comme une "guerre sans relâche", ne sont que la dernière incarnation de réponses récurrentes des pouvoirs publics.
"C'est un peu cyclique", remarque à l'AFP le sociologue du logement Yankel Fijalkow, spécialiste des réponses publiques au logement insalubre. "Les premières lois, c'est 1850. Ca fait quand même un petit moment qu'on s'excite sur ces questions."
Le parallèle entre "marchands de sommeil" et trafiquants de drogue, martelé par l'exécutif actuel, rappelle même les déclarations de Henri Sellier, ministre du Front Populaire dans les années 1930, qui comparait les "loueurs de taudis" à des empoisonneurs.
Autre résurgence notable citée par le sociologue, la loi Debré de 1964, contre les bidonvilles, visait à lutter contre la location d'un même logement, selon la règle des "trois huit", à un roulement de personnes, souvent des immigrés algériens venus travailler dans l'automobile.
Toutefois, "le terme indigne est nouveau, apparaissant dans les années 1990: "c'est dans la foulée qu'on a cette expression de marchands de sommeil", nuance M. Fijalkow.
"Il y a un appel à la vertu qui est un peu suspect", souligne-t-il. "Le problème, c'est que ces propriétaires indignes sont aussi des gens qui intègrent à prix fort des locataires que l'on ne veut pas ailleurs, notamment dans le logement social."
Le marchand de sommeil, bouc-émissaire des blocages du marché du logement ? C'était la thèse défendue dans les années 1970 par l'économiste américain libéral Walter Block, dans un ouvrage à la provocation affichée: "Défendre les indéfendables".
L'existence de taudis se résume à "un problème de pauvreté, un problème dont on ne peut pas tenir le propriétaire responsable", écrivait-il.