L'exclusion des femmes de ces thématiques trouve ses racines dans les rôles genrés traditionnels mais aussi dans les préjugés des gestionnaires de patrimoine, selon cette chargée de recherche au CNRS rattachée au Centre d'études et de recherches administratives politiques et sociales de Lille.
Question: Qui gère le patrimoine ?
Réponse: "Une des questions de l'enquête patrimoine de l'Insee c'est +qui a répondu dans le foyer?+ et cela permet de retracer qui gère le patrimoine.
Plus celui-ci est important, plus il est géré par les hommes dans les couples hétérosexuels. Pour les ménages plus modestes, ce sont les femmes. Et au milieu, le patrimoine est souvent géré à deux".
Q: Qu'est-ce qui explique cette exclusion des femmes, notamment chez les plus fortunés ?
R: De ce que j'ai constaté lors de mes entretiens, trois facteurs entrent en jeu.
D'abord, il y a un accès inégal à l'information sur les montants détenus, les supports de détention, avec des femmes qui ont perdu la main sur le sujet. Auparavant, elles pouvaient raconter l'histoire du patrimoine familial mais, en matière d'actifs, elles ne savent plus.
Elles sont aussi souvent exclues des espaces où ces questions sont discutées. Même dans l'enceinte familiale, ça reste tabou. Un actionnaire d'une société familiale m'expliquait que sa conjointe ne savait pas qu'ils possédaient 20 millions d'euros. Tous ses frères ont eu un poste dans l'entreprise mais ils ont exclu les soeurs du conseil d'administration. Après les réunions, les conseils pour investir circulent entre eux.
Enfin, il y a des stéréotypes sexistes qui font que les femmes ne sont pas. considérées par leur entourage et par elles-mêmes comme compétentes. Et ce n'est pas forcément une question de génération.
Q: Les professionnels ont-ils participé à cette exclusion ?
R: Le marché de la gestion de patrimoine s'est beaucoup développé dans les années 1990. Les professionnels prospectaient dans des espaces fermés, fréquentés par la clientèle fortunée, grâce au bouche-à-oreille. Ils rencontraient donc surtout des hommes.
Mais ils ont aussi eu l'idée d'aller chercher les veuves et les divorcées, des départements dédiés ont été créés dans quelques banques. Avec une certaine idée derrière: "vous êtes des profanes, laissez-nous gérer votre argent". Idem pour les artistes, les sportifs, les gagnants au loto, ceux qui, selon les gestionnaires, "n'ont pas un rapport rationnel à l'argent".
Il y a une sorte d'accord sur le fait que les fortunés ne sont pas compétents et n'ont pas le temps: "la Bourse ça fait peur", "la fiscalité c'est de plus en plus complexe". Mais la compétence est surtout mobilisée pour discréditer et exclure les femmes.
Le métier était aussi très masculin, aujourd'hui on va de plus en plus vers du 50-50 et les gestionnaires travaillent main dans la main avec les banques de détail qui font remonter les clients ET les clientes. Dans une perspective féministe: une des solutions, c'est d'investir et de former les femmes pour renverser le rapport de force.