Une évolution globale qui cache de nombreuses disparités et surtout quelques signaux d’alerte, notamment sur les PME-ETI et dans certains secteurs.
Un contexte économique qui reste difficile pour les entreprises
L’environnement économique des entreprises se stabilise, voire s’améliore à certains égards avec une nouvelle progression de l’emploi salarié privé (61.000 sur an au T2 2024) et un rebond du pouvoir d’achat des ménages depuis le T4 2023 grâce au reflux de l’inflation avec des prix à +1,2% sur un an en septembre 2024 contre +4,9% en septembre 2023.De plus, le taux de marge moyen des entreprises se maintien à un niveau élevé (environ 31%) et les difficultés d’accès au financement demeurent circonscrites selon le dernier baromètre BPI-Le Lab.
Néanmoins, le rythme d’activité semble se stabiliser autour de 1% de croissance du PIB plutôt que s’accélérer et l’inflation dans les services, essentiellement d’origine salariale pèse sur les marges et limite les perspectives de baisse des taux directeurs à l’échelle de la zone Euro. L’état des finances publiques pèse sur les taux longs en France, limitant le potentiel et la rapidité de la baisse des coûts de financement, et menace des dispositifs de soutien à certains secteurs (ex : Pinel, MaPrimeRenov). Par ailleurs, les PME doivent composer avec des taux de marge très inférieurs au niveau moyen des sociétés françaises, notamment dans la construction et les services aux ménages. Elles continuent à privilégier une logique de consolidation financière avec une poursuite du recul du rapport dette / capitaux propres et le remboursement de plus de 55% des montants de PGE dans un contexte où leurs perspectives d’activité et de trésorerie sont jugées médiocres et limitent leur investissement et leur recours au crédit. Seules 2,4% des PME et 4,3% des microentreprises craignent de ne pas rembourser leur PGE, mais les difficultés dans certains secteurs peuvent fragiliser les plus vulnérables, d’autant que l’Urssaf est revenue à des pratiques plus traditionnelles, après la parenthèse de la crise sanitaire.
Les PME-ETI et de nombreux secteurs sont particulièrement sinistrés !
Dans ce contexte, les défaillances d’entreprises poursuivent leur hausse depuis la fin de l’année 2023. BPCE L’Observatoire dénombre 13.035 défaillances au 3ème trimestre 2024 (+20% par rapport au T3 2019), portant à 64.427 le nombre de défaillances* en France sur les 12 derniers mois (+24% par rapport à 2019).
Cette évolution met en évidence une forme de « rattrapage » des défaillances évitées de 2020 à 2022 et confirme certains signaux d’alerte déjà perceptibles antérieurement, selon Alain Tourdjman, directeur des études économiques de BPCE, et Julien Laugier, économiste à BPCE :
- Globalement, les défaillances ont dépassé le « record » au regard des 15 dernières années. Depuis 12 mois, le rythme de défauts est supérieur à la période 2010-2015 qui est le dernier épisode particulièrement sinistré pour les entreprises françaises. Toutefois, à partir de nos données encore provisoires, les défaillances d’entreprises de juillet à septembre 2024 sont certes très élevées, mais ne dérapent pas au-delà des sommets de 2013-2014.
- Ce niveau élevé s’explique en partie par un phénomène de rattrapage des défaillances évitées entre 2020 et 2022, phénomène qui n’est pas extrapolable, mais qui ne concerne pour l’instant que 28% du potentiel de cette période. En fait, il existe une forte hétérogénéité entre les petites entités, très nombreuses, de moins de 3 salariés où le « rattrapage » n’atteint que 17% et les PME où, statistiquement, toutes les défaillances de PME (105%) évitées grâce au « quoi qu’il en coûte » se sont manifestées depuis 2023.
- De fait, les défaillances de PME-ETI se maintiennent à un niveau élevé, 57% au-dessus de celui de 2019, mais semblent se stabiliser. De manière générale, on observe 3 situations différentes selon l’effectif :
- Sur un an glissant du T4 2023 au T3 2024, 5.349 PME-ETI (10 salariés et plus) sont entrées en défaillances contre 3.400 en 2019. Exception faite des entités entre 50 et 99 salariés dont le rattrapage n’a pas été complet, nous estimons que la totalité des défaillances de PME-ETI évitées pendant la covid ont finalement été simplement reportées.
- Les TPE employant 3 à 9 salariés, avec un surcroît de défaillances de 32% par rapport à 2019, connaissent un rattrapage partiel des défaillances évitées entre 2020 et 2022.
- Les microentreprises et les plus petites TPE (sans salarié, ou employant 1 ou 2 salariés) connaissent une nette accélération des défaillances (+19% sur les 12 derniers mois par rapport à 2019) alors qu’elles étaient jusque-là moins concernées par la hausse globale.
- L’impact en emplois, qui permet d’évaluer le poids économique des défaillances, se stabilise lui aussi à un très haut niveau du fait de la taille moyenne des entités concernées, soit plus de 250.000 emplois menacés. Il s’agit d’un niveau très élevé, 43% au-delà de 2019, dont plus de 44.000 sur le seul 3ème trimestre 2024. L’impact économique des défauts ne faiblit donc pas en termes d’emplois menacés, et probablement aussi s’il était mesuré en termes de valeur, de créances, de capital, d’interactions interentreprises, … selon Alain Tourdjman et Julien Laugier.
- L’analyse par taille laisse à penser que le haut niveau des défaillances ne s’explique pas par la multiplication récente des créations (la plupart du temps sans salarié). La mesure des défauts selon l’ancienneté de l’entreprise confirme cette hypothèse : la hausse des défaillances a bien davantage concerné des entreprises de plus de 3 ans, voire de plus de 5 ans tandis que les créations les plus récentes contribuent moins aux défaillances enregistrées qu’en 2015 et en 2019.
- Par région, certains territoires se révèlent très vulnérables tandis que d’autres sont épargnés. Le quart Sud-Ouest (Midi-Pyrénées, Aquitaine, Poitou-Charentes) mais aussi Rhône-Alpes et l’Ile-de-France sont très exposés, y compris sur le segment des PME-ETI. A l’inverse, les territoires les plus épargnés semblent être moins dynamiques économiquement (Lorraine, Limousin, La Réunion…). D’autres facteurs peuvent également expliquer les disparités territoriales, comme le degré de normalisation des recouvrements des Urssaf et aussi les spécialisations sectorielles.
- Par secteur, on observe à des degrés divers les effets de l’inflation, de la hausse des taux et du changement de comportement de consommation des ménages. En particulier, certains secteurs connaissent un niveau de défaillances record sur notre période d’analyse (jusqu’en 2009) : les activités financières et d’assurance, notamment de courtage et de conseil ; les transports routiers de marchandises ; l’immobilier (la promotion privée et les agences immobilières) ; certaines activités scientifiques et techniques (comme les activités des sièges sociaux, les relations publiques, les bureaux d’études et de conseils, l’ingénierie et les études techniques, les économistes de la construction), le commerce et la réparation de véhicules. A l’inverse, les secteurs les plus résilients sont : les activités récréatives (sports, arts, culture), les débits de boissons, les transports (non routiers), l’élevage agricole et l’hébergement (hôtels, camping, …).
Environ 65.000 défaillances prévues en 2024 : pas de tsunami, mais le niveau le plus élevé des 15 dernières années
Les derniers chiffres conduisent à maintenir notre prévision pour 2024 à environ 65.000 défaillances, selon Alain Tourdjman. Il s’agirait du niveau le plus élevé depuis au moins 15 ans. Au-delà des chiffres globaux, la typologie des entreprises défaillantes devrait continuer à changer compte tenu…
- … de l’accélération des défauts de petites entités, jusque-là moins exposées mais un léger mieux dans les secteurs qui ont été ces derniers trimestres très affectés par les arbitrages de consommation des ménages, notamment dans l’alimentaire, voire les services aux particuliers.
- … du rattrapage déjà très avancé pour les PME, les défaillances se stabiliseraient côté PME et ETI avec un nombre d’emplois menacés se maintenant à un haut niveau, à proximité de 250.000 emplois.
*A partir des données extraites et traitées par les économistes de BPCE L’Observatoire, il est aujourd’hui en mesure de fournir une analyse statistique et économique très détaillée des défaillances d’entreprises.
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