En cette fin septembre clémente, les équipes s'activent pour poser 80 fondations d'acier, réparties entre 12 et 20 km au large du Pouliguen et du Croisic, sur 78 km2. A chaque bateau son rôle: câblier, finition des raccordements... Et puis ce gros navire/plateforme planté sur des "jambes" rétractables, chargé d'enfoncer les pieux dans le sol, aussi profondément que l'eau est haute (13 à 25 m selon les endroits).
"C'est comme un clou sur lequel on tape avec un gros marteau hydraulique, avec beaucoup d'intelligence électronique", explique Olivier de La Laurencie, le directeur de ce projet d'EDF Renouvelables à 2 milliards d'euros, en soulignant la prouesse, sur un fond rocheux fracturé.
Au milieu, la "sous-station" électrique, reliant les éoliennes et chargée de renvoyer le courant à terre via un câble semi-enterré, est en place.
Restera pour le printemps la pose des éoliennes géantes de 153 m (pales comprises), d'une puissance installée de 480 mégawatts (MW) capable d'alimenter 700.000 personnes.
En attendant, ces "moulins" aux extrémités rouges (obligation française) seront montés et testés dans le port, dans le hub géré par leur fabricant, General Electric (GE): "on y recrée les conditions offshore", notamment avec l'envoi de courant haute tension, décrit Emmanuel Charlopain, le directeur de projet.
Objectif: commencer la production mi-mai, pour une mise en service générale fin 2022... plus de 30 ans après l'ouverture d'un premier parc au Danemark. Malgré ses 2.800 km de côtes en métropole, la France est aussi très en retard par rapport au Royaume-Uni, la Scandinavie ou l'Allemagne.
Ce jour aura été longtemps attendu, puisque le chantier de ce parc offshore à Saint-Nazaire a été attribué dès 2012 à EDF et au canadien Enbridge.
"Apprendre à vivre avec"
En 2009, la France avait décidé de se lancer, attribuant quatre premiers parcs. Mais, de procédures administratives en recours, aucun ne s'est matérialisé. Aujourd'hui, les plaintes ayant été purgées, la construction a démarré aussi pour Fécamp, Courseulles-sur-Mer et Saint-Brieuc. D'autres parcs sont dans les tuyaux.
A Saint-Nazaire, des résidents de La Baule ont protesté, sur des arguments visuels.
Une navette y surveille le chantier, mais jusqu'ici pas d'incident à signaler, contrairement à Saint-Brieuc, cible de pêcheurs en colère qui craignent pour leur activité.
A Saint-Nazaire, c'est une autre pêche, pas au chalut; le tracé des câbles suit spécialement les courants, évite certains secteurs. Les industriels disent avoir tenté de répondre aux craintes en plus de 1.000 réunions, et la France a décidé de laisser les pêcheurs travailler dans les parcs. Peut-être les plaisanciers y seront-ils un jour autorisés, note M. de La Laurencie, pour qui "il faudra apprendre à vivre avec".
Sur le bateau, le président du Syndicat des énergies renouvelables (SER), Jean-Louis Bal, a le sourire: "Cela fait dix ans qu'on travaille au développement de l'éolien offshore en France. C'est la délivrance!". "Ce parc va permettre de surmonter des appréhensions, comme sur l'impact paysager. On va voir que les pêcheurs peuvent continuer à exercer leur métier. Et puis une industrie émerge. On va pouvoir accélérer".
La filière a aussi un argument massue: des prix drastiquement en baisse depuis 3-4 ans. A 60 euros le MWh (raccordement inclus), le prix de l'éolien marin est devenu compétitif.
Pour lutter contre le réchauffement climatique et répondre à ses besoins, la France veut accroître de 40% sa production électrique décarbonée d'ici 2050, selon sa "stratégie bas carbone". Le comité interministériel de la Mer a estimé de 49 à 57 GW son potentiel éolien marin à horizon 2050, soit l'équivalent d'une centaine de parcs comme celui de Saint-Nazaire.
Pour parvenir à une telle montée en puissance, la fabrication d'éoliennes toujours plus grandes et le recours à l'éolien flottant, qui permettra de s'installer plus au large, pourront aider. Mais le secteur réclame avant tout de la planification.
"50 GW c'est beaucoup!", note M. Bal. "Si on veut le faire, il faut planifier, pour que tous les usagers de la mer continuent à exister, les pêcheurs et les autres".