"Nous proposons un nouveau pacte entre les générations, un pacte fidèle dans son esprit à celui que le Conseil national de la Résistance a imaginé et mis en œuvre après-guerre", a affirmé le Premier ministre, en soulignant avoir "écouté" et "entendu" les partenaires sociaux et l'ensemble des Français, tout en se déclarant "totalement déterminé".
Les garanties données justifient "que la grève s'arrête", a souligné M. Philippe lors d'une intervention de près d'une heure devant le Conseil économique, social et environnemental (CESE), sans convaincre les syndicats et l'opposition de gauche.
"Il n'y aura ni vainqueur ni vaincu", a-t-il assuré, affirmant qu'il ne s'agissait pas là d'une "bataille", après six jours de grève et de mobilisation contre le projet de réforme.
Edouard Philippe s'est dit "totalement déterminé à mener à bien cette transformation", parce que "le temps du système universel est venu. Celui des régimes spéciaux s'achève".
Retraite minimum garantie à 1.000 euros et "85% du SMIC dans la durée", âge légal à 62 ans, avec "un âge d'équilibre" et "un système de bonus-malus", "des points supplémentaires dès le premier enfant" et majoration pour "les parents de familles nombreuses" figurent parmi les mesures retenues.
Les partenaires sociaux fixeront la valeur du point "sous le contrôle du Parlement", dans le nouveau système, a assuré le Premier ministre avec une "règle d'or" fixée dans la loi pour que la valeur du point "ne puisse pas baisser", et "une indexation non pas sur les prix mais sur les salaires".
"Il n'y a pas d'agenda caché, nous ne cherchons pas de petites économies", a-t-il encore assuré, affirmant avoir entendu les inquiétudes exprimées et ne vouloir "léser personne".
La génération 2004 qui aura "18 ans en 2022" intégrera directement le nouveau système. Et les Français nés avant 1975 "ne seront pas concernés", a-t-il précisé, un point sur lequel il était particulièrement attendu.
"Les femmes seront les grandes gagnantes", a encore assuré le Premier ministre. Des points supplémentaires seront notamment accordés "dès le premier enfant, et non à partir du 3e comme aujourd'hui". Cette majoration de 5% par enfant "sera accordée à la mère, sauf choix contraire des parents".
"Les plus riches paieront une cotisation de solidarité plus élevée qu'aujourd'hui", a encore annoncé Edouard Philippe.
Le système des retraites réformé garantira "une pension minimale de 1.000 euros net par mois pour une carrière complète au SMIC".
Il "permettra de mieux protéger les Français les plus fragiles, qui sont de fait trop souvent les oubliés du système", a-t-il plaidé, précisant que ce minimum de pension "sera garanti par la loi à 85% du SMIC dans la durée et évoluera comme celui-ci".
Évoquant la situation des enseignants, il a assuré que le niveau de leurs pensions sera "sanctuarisé" et "comparable au niveau des retraites des fonctions ou des métiers équivalents dans la fonction publique". Les "revalorisations nécessaires" seront engagées "progressivement (...) dès 2021", a-t-il également assuré.
Le "retour à l'équilibre financier" sera confié aux partenaires sociaux, a-t-il indiqué, en appelant à ne pas renvoyer "au-delà du quinquennat les mesures nécessaires".
"Si les partenaires sociaux s'entendent sur une telle trajectoire, le gouvernement la prendra à son compte", a ajouté le Premier ministre, qui a annoncé "dès l'année prochaine" la mise en place d'"une gouvernance" qui "leur confiera les principaux leviers", afin de "prendre des décisions qui seront mises en œuvre dès le 1er janvier 2022.
L'"âge d'équilibre" sera de 64 ans en 2027, a encore annoncé le Premier ministre, selon qui la seule solution "est de travailler un peu plus longtemps".
Côté calendrier, le projet de loi gouvernemental sera, selon lui, prêt "à la fin de l'année", soumis au conseil des ministres le 22 janvier et discuté au Parlement fin février.
Retraites: quoi, pour qui, quand, comment ?
Voici les principaux points de la réforme des retraites, dont le projet de loi sera présenté en conseil des ministres le 22 janvier et discuté au Parlement fin février, selon les annonces mercredi d'Edouard Philippe.
Le système par points
- Système universel par points, fin des régimes spéciaux
- Age d'équilibre de 64 ans en 2027, avec un système de bonus-malus fixé par les partenaires sociaux
- Age légal de départ maintenu à 62 ans
- Pension minimale à 1.000 euros (pas de date fixée, ndlr) et dans la durée "garantie à 85% du SMIC"
- Le point indexé sur les salaires et pas sur l'inflation
- "Règle d'or" pour que la valeur du point ne puisse pas baisser
- "Même niveau de cotisation" sur "la totalité des revenus jusqu'à 120.000 euros" et au-dessus "cotisation de solidarité plus élevée qu'aujourd'hui" (sans autre précision, ndlr)
- Les partenaires sociaux fixeront la valeur du point "sous le contrôle du Parlement"
- Les partenaires sociaux chargés de fixer une trajectoire de retour à l'équilibre financier du système, faute de quoi le gouvernement s'en chargera
Pour qui ?
- Rien de changé pour ceux à moins de 17 ans de leur retraite ou nés avant 1975
- La génération 2004 (18 ans en 2022) sera la première à intégrer complètement le système
- Seules les années travaillées à partir de 2025 seront régies par le nouveau système
- La première génération concernée aura encore 70% de sa retraite calculée selon l'ancien système
- Pendant la transition, maintien de 100% des droits acquis dans les régimes actuels
Familles
- Majoration de 5% dès le premier enfant, accordée à la mère par défaut
- Majoration de 2% pour les parents de familles nombreuses
Pénibilité
- Retraites: possibilité pour les "métiers usants" de partir "deux années plus tôt", y compris les fonctionnaires
- Assouplissement des critères pour la prise en compte du travail de nuit
- Aides-soignants: nouveau dispositif pour financer un temps partiel sans perte de revenu en fin de carrière
Métiers particuliers
- Pour ceux dont la retraite est basée sur les 6 derniers mois (fonctionnaires, ndlr), mise en place d'un système pour "garantir que nul n'est lésé"
- Revalorisation des salaires des enseignants dès 2021 et garantie par la loi que leur retraite sera comparable aux fonctionnaires de grade équivalent
- Transition sur 15 ans pour artisans, commerçants, professions libérales, avec convergence "douce" des cotisations
- Réserves de certains régimes spéciaux (avocats, médecins, auxiliaires médicaux): "pas de hold-up ni de siphonnage", ces fonds aideront leur transition vers le nouveau système
- Pompiers, policiers, gendarmes, personnel pénitentiaire conserveront leurs dérogations actuelles
À droite comme à gauche, l'opposition dénonce une réforme "injuste"
"Injuste". Un "enfumage". "Des perdants à tous les étages". L'opposition s'est levée comme un seul homme mercredi pour descendre en flammes la réforme des retraites présentée par le Premier ministre Edouard Philippe.
Les critiques les plus vives sont venues de la gauche, en pointe dans les manifestations ces derniers jours et dont certaines composantes se retrouvent en meeting commun mercredi soir. Pour le chef de file de La France insoumise Jean-Luc Mélenchon, "Macron vient d'instaurer la retraite à 64 ans: ceux qui ont 15 ans sont condamnés au système par point. Les autres sont jetés dans un labyrinthe illisible et piégeux."
"Les retraites des grands patrons et les privilèges des assurances privées sont maintenus. Injuste et inéquitable", a-t-il ajouté. "C'est bien une grande régression civilisationnelle qui nous est proposée", "ils cassent le système par répartition", a complété le député LFI Eric Coquerel devant des journalistes à l'Assemblée.
Le chef de file d'EELV Yannick Jadot s'est montré tout aussi cinglant: "Le gouvernement a donc choisi de fracturer un peu plus le pays. D'attaquer sa cohésion sociale". Pour l'eurodéputé, en principe pas opposé à un système par points, "reculer les échéances ne masque en rien l'injustice flagrante de la réforme proposée".
"Le gouvernement est resté un gouvernement droit dans ses bottes qui n'a pas évolué et aujourd'hui c'est un gouvernement minoritaire qui n'a plus le soutien que de l'unique Medef" et des députés LREM, a déclaré pour sa part à l'AFP le Premier secrétaire du Parti socialiste Olivier Faure, appelant "à de nouvelles mobilisations face à un projet "profondément régressif".
Pour le secrétaire national du PCF Fabien Roussel, "le PM confirme le pire".
"Je ne veux jamais être ce père qui dira à son fils que j'ai sauvé ma retraite en sacrifiant la sienne ! La lutte continue !", a pour sa part tweeté le porte-parole du NPA Olivier Besancenot.
La levée des boucliers a été immédiate à droite aussi. "Donc si on comprend bien, nous avons eu débats et blocages pour rien, puisque la réforme des retraites est reportée entre 2037 pour la génération 1975 et 2064 pour la génération 2004. Emmanuel Macron, c'est le brouillard et l'enfumage: nos retraites vont baisser!", a tweeté le numéro deux du parti Les Républicains Guillaume Peltier.
"Terrible" pour Marine Le Pen
Le parti est opposé à un système par points et prône un allongement de la durée de cotisations qui entraînerait un report de l'âge de départ à la retraite de 62 à 64 ans.
Le président de la Commission des Finances et député LR de l'Oise Eric Woerth a estimé que l'âge pivot à 64 ans était "ni plus ni moins le rééquilibrage financier par la baisse des pensions", ironisant par ailleurs sur l'invention par le gouvernement d'un "nouveau concept: la transition à rallonge".
Le chef de file des sénateurs LR Bruno Retailleau a estimé que "faire croire comme le fait le gouvernement que la valeur du point ne pourra pas baisser parce qu'il sera inscrit dans la loi c'est prendre les Français pour des imbéciles".
"Jamais probablement un gouvernement n'aura présenté avec des mots aussi enjolivés une réforme aussi terrible", a réagi pour sa part la présidente du Rassemblement national Marine Le Pen, réclamant une nouvelle fois un référendum sur la question.
"C'est très inquiétant. Il y a des perdants à tous les étages, les enseignants et demain peut être les policiers ou les personnels hospitaliers", a abondé Sébastien Chenu, porte-parole du parti qui plaide pour la retraite à 60 ans.
Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la France et ancien allié de Marine Le Pen au second tour de la présidentielle 2017, a pour sa part jugé que la réforme était "une usine à gaz". Mais "heureusement, elle nes'appliquera qu'à partir de 2025" et que par conséquent "un des enjeux de la présidentielle de 2022 sera d'annuler cette réforme injuste", a-t-il ajouté.
Unanimité syndicale contre le discours de Philippe, la CDFT bascule
Le discours d'Edouard Philippe, et notamment la perspective de l'instauration d'un "âge d'équilibre" à 64 ans, a suscité l'unanimité des syndicats contre lui, y compris des partisans de la retraite universelle à points comme la CFDT pour qui "une ligne rouge a été franchie".
"Il y avait une ligne rouge dans cette réforme, c'était le fait de ne pas mélanger la nécessité d'une réforme systémique (...) et la réforme paramétrique qui demanderait aux travailleurs de travailler plus longtemps, cette ligne rouge est franchie", a réagi M. Berger, très courroucé à l'issue de l'allocution du Premier ministre.
Le bureau national du premier syndicat français devait se réunir dans l'après-midi pour décider "des actions dans les jours et les semaines à venir", a-t-il ajouté.
Même "déception" pour le secrétaire général de l'Unsa, Laurent Escure, qui n'était pas non plus opposé au système à points. "On a eu la désagréable surprise, qui est une ligne rouge pour nous, qui est la question de la mesure d'âge", a-t-il déclaré.
Sans surprise, les syndicats opposés au principe même de la retraite par points ont estimé être confortés dans leur analyse.
"Le gouvernement s'est moqué du monde (...) Tout le monde va travailler plus longtemps, c'est inacceptable", a réagi le numéro un de la CGT Philippe Martinez.
Cela "ne peut que confirmer la nécessité de renforcer la mobilisation", a réagi Force ouvrière qui voit dans le recul du gouvernement sur l'application de la réforme (de la génération 1963 à 1975) "une conséquence de la mobilisation exceptionnelle" engagée le 5 décembre.
La CFE-CGC reste elle aussi "dans le camp des opposants", selon son président François Hommeril qui juge la "réforme de plus en plus dangereuse".
Dans la fonction publique, l'annonce de la "sanctuarisation" du niveau des pensions des enseignants, avec une revalorisation progressive à partir de 2021, n'a pas non plus satisfait.
"Le mécontentement et la détermination restent entiers", a réagi Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU, première fédération syndicale chez les enseignants. "On ne sait toujours pas ce qu'Edouard Philippe propose pour compenser la fin du calcul des pensions sur les six derniers mois", a-t-elle déclaré.
"Déclaration de guerre"
"S'agissant des revalorisations de carrière annoncées - qui oublient de nombreuses catégories professionnelles, comment accorder le moindre crédit à des interlocuteurs qui refusent systématiquement et depuis des années la moindre augmentation de la valeur du point, d'un coût pourtant nettement inférieur ?", a réagi l'intersyndicale de la fonction publique (CGT, FA, FO, FSU et Solidaires).
Dans les entreprises publiques, les principaux syndicats ont également exprimé leur mécontentement au discours du Premier ministre qui a réaffirmé sa volonté de mettre fin aux régimes spéciaux sans préciser la durée de transition possible.
Pour la fédération CGT des cheminots, "les annonces du Premier ministre doivent encourager les salariés à renforcer la grève", a estimé son secrétaire général Laurent Brun. "Là, je pense qu'on va dans le mur", a jugé Bruno Poncet, secrétaire fédéral de SUD-Rail (3e).
L'Unsa, premier syndicat à la RATP, appelle à "installer la mobilisation dans la durée" et à "élargir le mouvement au-delà des transports", a indiqué son secrétaire général Thierry Babec.
"Ce qu'on a retenu (du discours) c'est la fin des régimes spéciaux et la fin des statuts. C'est une déclaration de guerre", a réagi Sébastien Menesplier, secrétaire fédéral CGT Energie.
Le gouvernement n'a guère obtenu plus de succès auprès des professions libérales.
"Nous regrettons en effet que le Premier ministre ait récité à la virgule près le rapport du Haut-commissaire aux retraites", a réagi le Conseil national des barreaux qui "votera des actions ce vendredi".
Les principaux syndicats policiers ont assuré également ne voir "aucune avancée" et menacent de "durcir" la mobilisation afin de conserver leur régime spécifique.