Elles s'appellent Bellman, Homeland, Syndic One, Hello Syndic... De jeunes entreprises, qui se présentent comme des "néo-syndics", sur le modèle des "néo-banques", proposent des solutions informatisées pour faciliter la gestion des syndics.
Le syndic de copropriété gère les parties et charges communes d'un immeuble. Il peut être coopératif, c'est-à-dire piloté bénévolement par des copropriétaires, ou professionnel, lorsqu'il est confié à une entreprise moyennant finances.
Une de ces nouvelles entreprises cristallise les oppositions : Matera.
Proposant une assistance aux gestionnaires bénévoles, sans être elle-même un syndic professionnel, la start-up s'était fendue, en 2019 et 2020, d'une campagne publicitaire agressive ridiculisant les poids lourds traditionnels du secteur.
"Ambiguïté"
La réaction du milieu n'a pas tardé : deux assignations en justice visent la société, accusée notamment d'exercice illégal de la profession.
En première instance, le Tribunal de commerce de Paris a donné gain de cause à Matera sur ce point, mais a jugé qu'elle avait fait acte de concurrence déloyale et de pratiques commerciales trompeuses.
Matera a fait appel, et une autre assignation, pour des griefs similaires, est en cours d'examen au Tribunal judiciaire de Paris.
"Matera a cultivé une ambiguïté entre le fait d'être syndic ou de ne pas être syndic", tonne Jean-Marc Torrollion, président de la Fédération nationale de l'immobilier (Fnaim).
"Pour moi, c'est une affaire absolument ridicule", rétorque le patron de Matera, Raphaël Di Meglio. "Ils savent pertinemment qu'à chaque fois, on se présente comme assistance au syndic coopératif", assure-t-il.
Dernièrement, un comparateur en ligne de syndics lui a de nouveau attiré les indignations d'organisations professionnelles, qui accusent Matera d'avoir mis en place un "piège à clics", ou de s'adonner au "syndic-bashing".
"Il y a des acteurs existants qui défendent une rente, et qui sont à mon sens peu capables de créer l'innovation sur leur secteur ; et leur moyen de défendre leur part de marché, c'est notamment d'engager des procédures judiciaires", affirme Raphaël Di Meglio.
"Enjeu commercial"
Car derrière, il y a une bataille économique bien réelle.
Les nouveaux acteurs "grignotent des parts de marché aux syndics, ces derniers se faisant ravir des copropriétés au profit d'une gestion par les copropriétaires eux-mêmes en interne. Donc il y a quand même un enjeu commercial derrière", explique à l'AFP Me Elisa Bocianowski, avocate spécialisée dans l'immobilier (et non impliquée dans ces affaires) au cabinet Simmons & Simmons.
Ces jeunes entreprises entendent automatiser, à l'aide d'applications, certaines tâches chronophages : comptabilité, classement des documents administratifs...
"Aujourd'hui, si vous allez dans un syndic traditionnel, ça fonctionne un peu comme il y a trente ans", affirme Antonio Pinto, fondateur du néo-syndic Bellman. "C'est le comptable qui imprime des choses, l'assistante qui va mettre les courriers sous pli et les poster, on reçoit des factures au format papier, on met des coups de tampon..."
"Et quand vous gérez 40 immeubles, ou 50, ou 70, chaque seconde compte", dit-il.
"Les syndics en ligne sont intéressants pour les petites copropriétés qui n'arrivent pas à être gérées de façon classique", pense David Rodrigues, de l'association de consommateurs CLCV.
Bellman, qui gère environ 500 copropriétés, a fait interroger des copropriétaires pour une étude : 45% d'entre eux évaluent entre 0 et 6 sur 10 leur satisfaction vis-à-vis de leur syndic.
Ce qui l'a poussée à lancer elle aussi une campagne de publicité osée, où les copropriétaires qui renoncent à laisser tomber un syndic dysfonctionnel sont représentés en masochistes tout de cuir vêtus.
Les poids lourds du secteur, eux, tentent de s'adapter. Foncia met ainsi la touche finale à une application pour smartphone de gestion de syndic.
"Je pense qu'il y a de la place pour tout le monde, mais la plus-value, elle est quand même liée à un professionnel en chair et en os", défend Danielle Dubrac, présidente de l'Union des professionnels de l'immobilier (Unis), tout en prévenant : "Si le modèle économique (des nouveaux acteurs) n'est pas rentable, s'il n'y a pas de retour sur investissement, on passe à autre chose. Et il peut y avoir une obsolescence très rapide de ces néo-acteurs".
Ni Bellman ni Matera ne sont actuellement bénéficiaires.