"Ce décret sera pris, (...) j'en prends l'engagement aujourd'hui", a affirmé vendredi la ministre de l'Ecologie et de l'Energie, à l'antenne de la radio RTL.
Avec cette annonce qui laisse sceptiques politiques et syndicats, la ministre tente une dernière manoeuvre, au dénouement incertain, contre "le lobby nucléaire" qui a "cru pouvoir ralentir la décision", selon elle.
Jeudi, à l'issue d'une réunion mouvementée, le conseil d'administration d'EDF a certes donné - de justesse - son accord pour qu'une demande d'abrogation d'exploiter la doyenne des centrales françaises soit transmise à l'Etat, préalable en principe à tout décret du gouvernement.
Mais il a obtenu un nouveau délai pour que cette demande ne soit faite que dans les six mois précédant la mise en service de l'EPR de Flamanville, prévue au plus tôt en 2019.
Si cette décision a satisfait les salariés d'EDF, elle a irrité les écologistes, et déçu l'Allemagne et la Suisse, voisines de l'installation située dans le Haut-Rhin sur une faille sismique, qui réclament sa fermeture depuis des années.
C'est "une grande déception. Une opportunité a été manquée", a déploré Rita Schwarzelühr-Sutter, secrétaire d'Etat au Ministère allemand de l'environnement.
L'Association suisse anti-nucléaire TRAS a dénoncé un "parjure par EDF et le gouvernement français" et annoncé qu'elle "va engager de nouvelles poursuites juridiques contre les exploitants" de la centrale.
Question de légalité
La ministre peut-elle passer en force ? Elle considère en tout cas que la délibération du conseil d'administration "vaut demande" et lui permet de prendre le décret promis, qui "va reprendre (...) la délibération du conseil d'administration", a-t-elle détaillé.
Dès jeudi soir, elle saluait d'ailleurs la délibération des administrateurs d'EDF comme une "bonne décision", actant le caractère désormais "irréversible" de la fermeture de Fessenheim.
Mensonge, a rétorqué vendredi l'ancienne ministre écologiste Cécile Duflot. "Ségolène Royal interprète (...), elle ment. Il n'y aura pas de possibilité de signer le décret de fermeture de la centrale", a-t-elle dit sur RTL, intervenant peu avant Mme Royal.
"La légalité" d'un tel décret, sans demande préalable transmise par EDF, "n'est pas assurée", a confirmé à l'AFP l'avocat spécialisé en droit de l'environnement, Arnaud Gossement.
Le code de l'environnement stipule en effet que "lorsque l'exploitant prévoit d'arrêter définitivement le fonctionnement de son installation ou d'une partie de son installation, il le déclare au ministre chargé de la sûreté nucléaire et à l'Autorité de sûreté nucléaire".
La loi sur la transition énergétique dit aussi que les abrogations d'exploitation sont "prononcées à la demande du titulaire d'une autorisation", en l'occurrence EDF.
"Le Conseil d'Etat pourrait être saisi d'un recours", a ajouté M. Gossement, par exemple à l'initiative des syndicats d'EDF, qui s'opposent à la fermeture de la centrale, craignant pour les 2.000 emplois directs et indirects liés à cette activité.
Mais la procédure prendrait du temps, et le président de la République et le gouvernement pourraient se prévaloir d'avoir respecté leur engagement.
Coup de pub
Interrogé par l'AFP, le secrétaire général du syndicat CFE Energies d'EDF, William Viry-Allermoz, a assuré que "si un décret actait" la fermeture de Fessenheim "alors que ce n'est pas la décision du conseil d'administration d'EDF, on attaquerait le décret pour excès de pouvoir". "C'est un coup de pub, de la communication à visée purement électoraliste", a-t-il ajouté.
Comme la CFE Energies, FO a aussi l'intention d'attaquer en justice si un décret était pris.
Même analyse à la Fédération Mines Energie de la CGT. Si la ministre "prend un décret qui est contraire à ce qui a été voté hier (jeudi), il sera illégal et donc nul et non avenu", a souligné à l'AFP sa porte-parole Marie-Claire Cailletaud.
Pour elle, Mme Royal "joue là-dessus, car il y aura un délai et les élections seront passées". "C'est vraiment de la communication, de l'esbroufe", a dit Mme Cailletaud.