A l'emplacement d'une ancienne raffinerie de pétrole, sur la commune de Reichstett (Bas-Rhin), des industriels veulent implanter cinq cuves horizontales longues de 54 mètres pour stocker 5.500 m3 de GNL: du gaz refroidi à -162°C, jusqu'à devenir liquide et ainsi occuper 600 fois moins d'espace qu'à l'état gazeux.
Le futur site, classé Séveso seuil haut, doit être alimenté par du gaz provenant de l'étranger qui, après avoir traversé la Méditerranée, sera acheminé par trains depuis le terminal méthanier de Fos-sur-Mer jusqu'en Alsace.
Le GNL, principalement destiné à servir de carburant à des transporteurs routiers, sera distribué par camion aux stations service dans le nord-est de la France, mais aussi en Allemagne.
"Aujourd'hui, les acteurs du transport lourd vont prioritairement axer leur reconversion énergétique (depuis le gasoil) vers une énergie qui fonctionne et qui est disponible, c'est le GNL", assure Stéphane Simon, directeur chez Rubis terminal, le groupe qui pilote le projet.
"Et alors que les besoins vont grandissants, le Grand Est est dépourvu de hub GNL: la zone est alimentée uniquement par camion depuis Fos-sur-mer", poursuit M. Simon. "La stratégie est donc d'implanter un hub local, pour permettre l'approvisionnement du territoire, dans le cadre de la transition énergétique."
Mais de nombreuses voix contestent la pertinence du projet: s'il émet un peu moins de CO2 que le diesel, le GNL demeure un hydrocarbure polluant, dégageant des gaz à effet de serre et contribuant au réchauffement climatique.
"Technologie sans avenir"
"Pourquoi investir dans des technologies qui n'ont pas d'avenir ? C'est de l'argent mal utilisé", s'indigne Marie Chéron, de l'ONG Transport et Environnement. "L'objectif est de faire la transition vers l'électrique, même pour les poids lourds. Investir dans le GNL, c'est parier sur une transition lente, ce n'est pas la bonne solution."
L'Autorité environnementale estime que ce projet "ne peut pas se prévaloir de participer à la transition énergétique", rappelant que production, transport et consommation du GNL relèvent "de solution carbonées".
Reichstett et Vendenheim, les deux communes d'implantation, et la métropole de Strasbourg ont émis des avis négatifs, craignant entre autres une saturation du trafic routier avec le passage des camions citernes.
"C'est 60 camions supplémentaires par jour, à proximité immédiate d'un nouveau lotissement: qui va vouloir habiter là ?", grogne Georges Schuler, maire de Reischtett. "Et si ce projet se réalise, c'est un site Séveso, on n'aura jamais notre autorisation pour faire du photovoltaïque ou de la méthanisation à l'arrière."
Favoriser le bioGNL
Mais pour les promoteurs du projet, l'usage du gaz comme carburant a sa pertinence face à l'électrique, qui impose des temps de recharge longs et une faible autonomie. Ce site doit faciliter le recours des transporteurs au bioGNL, énergie renouvelable fabriquée à partir de fermentation de matières organiques (souvent des déchets agricoles), beaucoup moins polluante que le gaz naturel.
Selon eux, l'usage du bioGNL va être considérablement encouragé par l'intégration, dans le budget 2024, de ce carburant dans la Taxe incitative relative à l'utilisation d'énergie renouvelable dans le transport (Tiruert): cette taxe, payée par les distributeurs qui n'incorporent pas suffisamment d'énergies renouvelables dans leurs carburants, doit les inciter à remplacer rapidement le gaz naturel, importé, par du biogaz produit en France.
"L'incitation économique est très importante, il va y avoir une demande considérable de bioGNL", assure Laurent Hamou, responsable des affaires institutionnelles chez Elengy (filiale de GRTgaz),partenaire du projet. Selon lui, la difficulté va être de produire suffisamment de bioGNL dans les exploitations agricoles, alors même qu'il n'existe encore aucune infrastructure de liquéfaction du biogaz en Grand Est.
"Ca va prendre quelques années, le temps que les projets se mettent en place, il n'y aura pas grand chose avant 2026", concède-t-il. Mais il espère "100% de bioGNL" régional stocké à Reichstett dès 2030.
Le projet est encore soumis à une autorisation préfectorale, qui pourrait être accordée au premier semestre 2024.