La préfecture avait autorisé, en 2019, la construction d'une route de cinq kilomètres pour contourner la commune de Châtenois, pour un budget de 60 millions d'euros. La Collectivité européenne d'Alsace (CEA - issue de la fusion des Conseils départementaux du Bas-Rhin et du Haut-Rhin) assurait la maîtrise d'ouvrage du chantier.
Cette autorisation avait été contestée en justice par l'association Alsace Nature.
Dans leur jugement, les magistrats relèvent "plusieurs vices" dans l'autorisation accordée. Ils soulignent que sept hectares de zones humides sont détruits par le projet, et que la préfecture et la CEA "n'ont pas justifié" de compensations suffisantes.
Ils pointent également l'absence de raison "d'intérêt public majeur" qui justifierait de porter atteinte aux "29 espèces protégées" (mammifères, oiseaux, reptiles...) présentes dans l'aire du projet.
Pour la préfecture, cet intérêt public majeur était établi par le "caractère accidentogène" de la route actuelle, et la "pollution de l'air" qu'elle engendre.
Le tribunal note au contraire qu'il n'est "pas démontré" que des aménagements sur la route actuelle "ne seraient pas suffisants" et souligne que le projet serait "à l'origine d'une pollution supplémentaire par dix substances".
En conséquence, il écarte la possibilité d'une régularisation ultérieure et déclare "l'illégalité de l'ensemble de l'autorisation".
"Ce n'est pas une décision fréquente pour un projet routier, car le juge a beaucoup de pouvoir pour régulariser une procédure illégale", analyse pour l'AFP Hubert Delzangles, professeur de droit public et expert en droit de l'environnement. "Ici, il considère qu'il n'est pas possible de régulariser, en l'absence de raison impérative d'intérêt public majeur."
"C'est ubuesque de juger quatre ans après le recours", a réagi de son côté le maire de Châtenois, Luc Adoneth. "Le chantier est en phase terminale, ils en sont presque à la pose du macadam", a-t-il observé. "C'est une gabegie d'argent public, l'arrêt du chantier va coûter plusieurs millions d'euros à la CEA".
Dans un communiqué, la Collectivité européenne d'Alsace se dit "abasourdie par cette décision" et annonce faire appel du jugement en demandant la suspension de son exécution "pour permettre la reprise des travaux".
Elle précise que "près de 1,8 million d'euros ont déjà été investis dans les mesures environnementales du projet".
A l'inverse, Alsace Nature s'est félicitée de la décision du tribunal. "Il est temps de penser la nécessaire protection des ressources en eau et la protection de la biodiversité comme cruciales, bien au-delà des seuls objectifs de gestion des flux de marchandises par transport en camions".
"Les associations ne sont nullement dans une posture dogmatique qui voudrait qu'aucune route ne voit le jour", poursuit-elle, "mais bel et bien dans une analyse multifactorielle où la nature ne saurait plus servir de variable d'ajustement".
De son côté, la préfecture "étudie" l'opportunité de faire appel, a-t-elle annoncé à l'AFP.