Les délais de formation d’un nouveau gouvernement s’allongent, alimentant les incertitudes sur l’orientation future de la politique économique. Dans ce contexte de flottement législatif et institutionnel, le risque d’une période d’attentisme prolongé se conjugue avec la parenthèse de la trêve estivale liée aux congés d’été et aux J.O. Autant dire que la grande morosité conjoncturelle du secteur du bâtiment devrait se poursuivre dans les prochaines semaines. Certes, les signaux d’un franchissement des points bas semblent se confirmer mais l’absence de visibilité sur le comportement des agents, l’évolution des taux d’intérêt et l’action des pouvoirs publics, pourrait retarder le redressement cyclique de l’immobilier. Dans ce climat, l’activité des matériaux patine à bas niveau...
Un mauvais mois de mai
Le profil en dents de scie qui se dessine au mois le mois depuis fin 2023 se confirme en mai. Après un mois d’avril en redressement, l’activité fléchit à nouveau pour les granulats et le BPE. Ainsi, l’activité des carrières a enregistré un recul de -5,8% par rapport à avril et de -10,8% comparé au mois de mai de 2023 (données CVS-CJO). C’est un net repli qui porte la tendance du dernier trimestre en baisse de -6,1% au regard du trimestre précédent et de -8,4% sur un an. Il est vrai que les conditions météorologiques de ce printemps n’ont guère été propices à l’activité compte tenu de la forte pluviométrie. Selon Météo France, le mois de mai 2024 a été le plus pluvieux depuis 15 ans avec une augmentation de 34 % des précipitations par rapport aux normales des 30 dernières années (dont +50% en Île-de-France). Ce contexte a pu perturber les chantiers. En cumul sur les cinq premiers mois de l’année, l’activité granulats affiche une contraction de -6,9% et de -7,2% en cumul glissant sur douze mois. Le BPE n’a pas échappé à cette morosité, enregistrant un recul de -7% entre avril et mai et portant les volumes à un niveau inférieur de -18,3% à ceux de mai 2023 (données CSV-CJO). Sur les trois mois allant de mars à mai, les livraisons se replient de -7,6% au regard des trois mois précédents et de -14,7% sur un an, soit quasiment le même rythme que l’évolution constatée sur le cumul des cinq mois de 2024.
L'indicateur matériaux de l'UNICEM confirme aussi la grande atonie de l’activité avec un index en volume en repli de -6,1% en avril, sur un an, et ce en dépit d’une hausse de +3,1% par rapport à mars (données CVS-CJO). Sur les quatre premiers mois de l’année, l’indicateur affiche une contraction de -10% en glissement annuel, le secteur des tuiles et briques, du BPE et du ciment enregistrant les reculs les plus marqués.
Le climat conjoncturel encore très sombre dans le bâtiment
La dernière enquête menée par l’INSEE dans l’industrie du bâtiment indique une nouvelle dégradation du climat des affaires en juin. En effet, l’opinion des entrepreneurs sur l’activité future et passée se détériore assez nettement, notamment dans le segment du gros œuvre, s’éloignant de plus en plus de la moyenne de long terme. En dépit de carnets qui affichent toujours un stock de 8,7 mois d’activité dans le gros œuvre (soit 2,2 mois de plus qu’en moyenne sur le long terme), le jugement que portent les chefs d’entreprise sur ces carnets s’est nettement dégradé. Ce dernier reste cependant étonnamment bien plus élevé que ce qu’il affichait lors de la crise de 2014-2015 alors même que le niveau actuel de l’activité constructive est bien plus faible, en particulier sur le résidentiel. En effet, côté logements neufs, les mises en chantier reculent encore de -13,9% en glissement annuel sur cinq mois à fin mai. Le rythme tend toutefois à ralentir car, grâce à un redressement sur les derniers mois (dont +4,2% de mars à mai par rapport aux trois mois précédents, données CVS-CJO), la tendance revient à -7% sur un an pour le dernier trimestre connu. Pour autant, cette baisse porte le rythme annuel autour de 265.000 logements commencés pour l’année 2024, soit un niveau plus bas encore que le plancher atteint pendant la crise des années 1990 (à 270.000).
Quant aux permis logements, ils cèdent encore -11,4% sur mars-mai en glissement annuel et -8,3% par rapport aux trois mois précédents (données CVS-CJO). En cumul sur cinq mois, les autorisations reculent ainsi encore de -10,7%. Là aussi, le rythme de repli se modère (pour mémoire, il y a un an, elles plongeaient de près de -32% sur la même période) mais le chemin reste long et graduel. En rythme annuel, le nombre de permis s’inscrit un peu en dessous de 350.000 unités, soit le niveau le plus faible depuis 1998. Quant à l’amont de la filière, même si le point bas du marché semble avoir été atteint, les tendances demeurent très négatives. Ainsi, dans l’individuel diffus, le dernier bulletin Markemétron suggère que l’atterrissage est désormais terminé, les transactions se redressant depuis plusieurs mois dans le sillage de la baisse des taux d’intérêt et d’une production de crédits en hausse. Mais à fin mai, les ventes étaient encore sur une pente baissière de -22,3% sur un an et atteindraient difficilement 50.000 unités en 2024. Quant à la promotion immobilière, les réservations sont au plus bas. Et ce n’est pas au cours de l’été que la courbe va s’inverser. Dans un contexte estival marqué par les J.O. et le flottement politique, l’attentisme des ménages va prévaloir. Il faudra sans doute attendre la rentrée et le dénouement électoral pour savoir si la concurrence que vont se livrer les banques sur le marché du crédit, l’évolution des taux longs, l’orientation de la politique économique ou encore la variation des prix immobiliers vont réussir à redynamiser la demande de logements des ménages. L’enjeu est de taille ! La publication des comptes trimestriels de l’INSEE confirme que ce qui pénalise le plus la croissance depuis plus de deux ans, c’est bien le recul de l’investissement en construction des ménages et des entreprises ! Entre fin 2021 et fin 2023, la crise immobilière via la chute des achats de logements a amputé la croissance économique française de 0,5 point, la hausse du PIB n’atteignant que 1,5% sur la période en raison de cet impact négatif, selon les calculs de l’OFCE. Et il ne s’agit là que de la contribution comptable des agrégats. En effet, l’impact de la crise immobilière se diffuse dans l’activité des secteurs amont et aval de la filière et se solde par un taux de sinistralité d’entreprises accru. Les données de la Banque de France montrent que le nombre de défaillances a été multiplié par 2,4 entre le premier semestre 2021 et le premier semestre 2024 (à 31.626 cas) ; sans surprise, les secteurs des activités immobilières et du BTP sont les plus touchés avec, respectivement, une augmentation des défaillances de +42% et +35% sur un an au premier semestre. L’action du futur gouvernement sera donc cruciale pour endiguer l’hémorragie.
Dans ce climat atone, les travaux publics se distinguent avec une activité qui progresse encore en mai, de +1,7% sur un mois et de +7,5% sur un an, selon la FNTP.
Travaux publics : l'activité tient bon
Les mauvaises conditions climatiques ont donc peu affecté les chantiers même si les heures chômées pour intempéries ont été 1,8 fois supérieures à un mois de mai moyen. Depuis janvier, le volume des travaux réalisés augmente ainsi de + 1,9% sur un an et les carnets de commandes restent très bien orientés. Dopés par les grands projets des collectivités territoriales et le cycle électoral, les marchés conclus progressent encore en mai, de + 12% en volume sur un an, portant la hausse à près de + 33% en cumul annuel glissant. La FNTP souligne dans sa dernière note que, d’après les budgets primitifs 2024, les dépenses TP prévues par les métropoles (hors Grand Paris) augmentent de + 7,6% (à 4,1 Mds€), et ce, en dépit du rabotage de certaines subventions. Parmi elles, les crédits alloués aux transports urbains (1,3 Md€), à l’assainissement et aux aménagements urbains (1,3 Md€) enregistrent les plus fortes progressions. Quant au budget des routes et voierie, qui représente 29% du total, il ne croît que de 2%.
Chiffres clés
La commission économique UNICEM de juillet maintient ses perspectives pour 2024 avec un repli des livraisons de BPE compris entre -11% et -12% et un recul de la demande de granulats de l'ordre de -5% à -6%.
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