Dans ce contexte parlementaire très fragmenté, les enjeux politiques d’une réduction des déficits publics divisent les élus, tant sur les arbitrages des recettes que sur ceux des dépenses... Pendant ce temps, les urgences s’accumulent sur le front social mais aussi économique et les secteurs de la filière construction, qui traversent une crise sans précèdent, sont en attente des mesures de soutien pour consolider les conditions d’un redressement. Baisse des taux, volontarisme bancaire, désinflation... constituent un terreau favorable mais à ce jour insuffisant pour endiguer l’ampleur du marasme dans le logement neuf. Si des points bas semblent désormais atteints du côté de la construction ou de la promotion, il convient à présent d’accompagner le redémarrage du cycle par des dispositifs efficaces et ambitieux à la hauteur des enjeux socio-économiques et de la récession de la filière BTP dont les secteurs amont et aval, à commencer par celui des matériaux de construction, en paient aujourd’hui le prix.
Chiffres clés
Au troisième trimestre, l'activité des granulats et du BPE a enfin cessé de reculer par rapport au trimestre précédent : +2,9% et 1,5% respectivement. (données CVS-CJO)
Un mois de septembre en net repli pour le BPE
Après deux mois de léger redressement, l’activité du BPE aurait de nouveau reculé en septembre, selon nos premières estimations. Ainsi, comparé à août, les livraisons ont cédé -6,1%, s’affichant en baisse de -12,2% par rapport à l’an passé (données CVS-CJO). Cependant, au troisième trimestre, et pour la première fois depuis plus de deux ans, les volumes produits cessent de reculer au trimestre le trimestre, enregistrant une hausse de +1,5%, mais restant encore 10,4% en-deçà des niveaux d’il y a un an. En cumul sur les neuf premiers mois de l’année, les livraisons de BPE s’inscrivent en baisse de -12,9%. Sur douze mois, le volume produit passe sous le seuil des 34 millions de m3, un niveau historiquement bas, en cohérence avec les records enregistrés par les mises en chantier de logements. La meilleure orientation conjoncturelle du secteur des travaux publics permet d’apporter un léger soutien à l’activité des granulats qui affiche une hausse de +4,1% entre août et septembre et de +3,1% par rapport à septembre 2023 (données CVS-CJO). Au troisième trimestre, la production se redresse de +2,9% au regard du trimestre précédent mais reste en retrait de -2,4% en glissement annuel. En cumul sur les neuf premiers mois de l’année, l’activité granulats cède -5,1% sur un an contre -6,4% en cumul sur douze mois glissants. À fin septembre, la production de granulats naturels atteint à peine 276 millions de tonnes, soit un niveau 20% inférieur au niveau moyen de ces vingt dernières années (341 Mt).
Signe que le point bas a peut-être été atteint, notre indicateur matériaux enregistre une hausse pour le troisième mois consécutif (+0,9% en août, données CVS-CJO). Sur les trois derniers mois, il progresse de +1,4% par rapport aux trois mois précédents mais perd encore -5,8% sur un an. En cumul sur huit mois, l’activité en volume du panier de matériaux se replie encore de -7,2% sur un an, soit un rythme plus modéré que le recul enregistré sur douze mois glissants (-9,7%). Les tuiles et briques, le ciment et le BPE restent, sans surprise, les matériaux du panier les plus impactés par la crise de la construction résidentielle.
Bâtiment : atterrissage sans redécollage
Selon l’INSEE, après dix trimestres consécutifs de baisse, les perspectives générales des professionnels du bâtiment se sont améliorées en octobre bien que restant très en dessous de leur moyenne de longue période. Toutefois cette évolution recouvre des situations bien différentes selon les segments d’activité : dans le gros œuvre, l’activité prévue continue de se dégrader, notamment dans le bâtiment neuf hors-logement, tandis que, du côté du logement les perspectives sont un peu moins mauvaises. Le jugement des professionnels sur les carnets de commandes du gros œuvre se détériore sensiblement, plus encore que leur niveau qui atteint 8,5 mois à fin octobre (contre 9 mois il y a un an). À noter que pour la première fois depuis mars 2021, le solde d’opinion sur les prix prévus se réoriente à la baisse, retrouvant quasiment sa moyenne de long terme. Il est vrai que la conjoncture immobilière, qui précède la conjoncture constructive, reste très dégradée en dépit de signaux de retournement du cycle. Du côté des ventes de maisons individuelles du secteur diffus, les données de Markemétron de septembre confirment une reprise « post-estivale classique » mais d’une moindre ampleur que celle constatée en moyenne sur longue période (+72,5% contre +100%). Sur les trois derniers mois, les
ventes réalisées continuent de reculer, de -8% en glissement annuel, mais ce repli était de -43,4% il y a un an ! Au total, le niveau d’activité actuel des CMistes est de 65% inférieur à celui des vingt dernières années, avec pour corollaire, une hausse de la sinistralité et une
contraction des capacités productives. Selon Altares, le nombre de défaillances dans la promotion immobilière a grimpé de 85% sur un an au cours du troisième trimestre (soit 74 faillites après 154 déjà enregistrées au deuxième trimestre). Le point bas des ventes des promoteurs pourrait être atteint mais l’activité reste léthargique. Selon les derniers chiffres publiés par la Fédération des Promoteurs Immobiliers, les réservations nettes de logements au détail (12114 unités) ont augmenté de +4,3% sur un an au troisième trimestre 2024 mais demeurent en repli de -12,7% en cumul sur les neuf mois (39.809). Parmi elles, les ventes aux investisseurs particuliers gagnent +5% mais, sur neuf mois, elles sont en recul de -19,8% (13.198 ventes) et ne représentent plus qu’un tiers des réservations totales (44% en 2022). Face à une demande qui ne se redresse que timidement, l’offre des promoteurs, quant à elle, continue de se contracter : moins de 9.000 logements ont été proposés à la vente ce trimestre, soit 41% de moins qu’il y a un an (-33,7% en cumul sur neuf mois). Dans ce contexte, la construction de logements poursuit son recul : en septembre, 1.890 logements ont été mis en chantier, soit le plus faible niveau mensuel depuis 2000 (données CVS-CJO). Sur les trois derniers mois, le nombre de logements commencés recule de -9,6% sur un an, la baisse sur douze mois glissants atteignant -19,7% (avec 264.000 logements). Quant au nombre de logements autorisés, il a cessé de se replier entre le deuxième et le troisième trimestre (-0,3%) mais affiche un niveau encore inférieur à celui du troisième trimestre 2023 (-7,6%). Sur les douze derniers mois, 337.100 permis ont été délivrés, soit un niveau en retrait de -9,4% en glissement annuel. Au total, même si la fin de l’année 2024 se profile sur des tendances négatives moins marquées qu’au début, l’embellie reste lente et graduelle et le redémarrage incertain. L’amélioration des conditions bancaires, avec la baisse des taux d’intérêt (-80 pdb pour le marché du neuf depuis décembre 2023) et une offre de prêts plus dynamique, reste encore insuffisante pour booster la demande des ménages, leur pouvoir d’achat immobilier se heurtant à des prix qui peinent à baisser sur le marché du neuf. Le freinage de l’inflation, le redressement de la confiance des ménages, les attentes et besoins en logements pourraient soutenir une sortie de crise à condition d’en accompagner le mouvement en allégeant les contraintes qui pèsent sur le marché résidentiel (normes constructives, ZAN...) et en aidant financièrement les ménages primo-accédants et investisseurs (PTZ, incitation à l’investissement locatif...).
TP : un horizon moins serein
Selon la FNTP, le climat des affaires s’est dégradé au troisième trimestre 2024, le solde d’opinion repassant tout juste sous sa moyenne de long terme. L’opinion des professionnels sur l’activité passée rebondit mais ils sont plus inquiets pour l’avenir. Le manque de demande devient le premier obstacle à la production (44% en octobre contre 35% en juillet). Perturbés par une forte pluviométrie, les travaux ont reculé en septembre, freinant le cumul des facturations depuis janvier (+1,6% contre +2,1% à fin août en volume, CVS-CJO) mais les carnets restent dynamiques (+8,3%). À l’approche du scrutin des municipales en 2026, le secteur s’inquiète d’un retournement du cycle électoral précipité par les coupes budgétaires de l’État et autres mesures de réduction des dépenses qui « plomberaient » les investissements des collectivités locales.
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