Toujours plus de prix négatifs
A fin juin, la France avait connu 235 heures de production électrique à prix négatif, soit 5% des heures de production, surpassant déjà le record de 2023 (147 heures), selon RTE, le gestionnaire du réseau à haute tension.
Dans le sud de Australie, cela a été le cas 20% du temps depuis 2023, relève l'Agence internationale de l'énergie (AIE).
A l'origine du phénomène: une production renouvelable abondante qui fait s'effondrer les prix quand la demande est faible.
Résultat, sur le marché "spot", là où 20% de l'électricité du marché s'échange la veille pour le lendemain, le tarif est tombé jusqu'à -87 euros/MWh en France en 2024. En Suisse, les prix ont dégringolé à -400 euros/MWh le 14 juillet. Ces prix s'observent généralement en été, à la mi-journée, au moment où la production solaire bat son plein.
La tendance s'accèlère depuis trois ans, sous l'effet d'une baisse inattendue de la demande en Europe, depuis l'épidémie de Covid et la guerre en Ukraine.
A qui profitent ces prix négatifs ?
Ils modèrent la facture finale, explique Rebecca Aron, directrice des marchés pour Valorem, producteur français pionnier dans les renouvelables. Mais l'impact est décalé dans le temps et peut passer inaperçu parmi d'autres facteurs de hausse et de baisse. Les industriels énergivores peuvent en bénéficier s'ils parviennent à déplacer leurs consommations aux moments les plus avantageux.
Un prix négatif est "un signal qui prévient qu'il y a beaucoup trop de production sur le réseau électrique" et qu'il faut éviter de produire, explique Nicolas Goldberg, expert chez Colombus Consulting. Le système électrique nécessite en effet, pour des raisons physiques, d'être à chaque instant à l'équilibre - l'électricité étant plus difficile à stocker que d'autres énergies comme le gaz et le pétrole.
Aujourd'hui, nombre d'exploitants de renouvelables arrêtent leurs machines quand un prix négatif s'annonce: il faut une minute pour stopper un parc photovoltaïque, deux à trois minutes pour une éolienne. Mais tous les producteurs ne le font pas.
"Les énergies renouvelables sont pilotables, mais aujourd'hui, selon les contrats de production, elles ne sont pas nécessairement incitées à s'arrêter", explique Mathieu Pierzo, directeur marchés de l'électricité chez RTE, qui veille en France à l'équilibre du système.
Certains producteurs sont en effet rémunérés par un prix fixé par arrêté ou compensés par l'Etat si leur prix garanti n'est pas atteint. Quant aux centrales thermiques fossiles ou nucléaires, elles peuvent moduler leur production mais jusqu'à une certaine limite (contrainte technique, coûts de redémarrage...).
L'accélération de ce phénomène est "extrêmement problématique" pour la filière, selon Mattias Vandenbulcke, de l'association professionnelle France Renouvelables. "Cela permet à certains de tenir un discours néfaste voire mortifère qui dit +les renouvelables, ça ne sert à rien+", selon lui.
Or si le monde veut rester sous 1,5°C de réchauffement par rapport à l'ère pré-industrielle, il lui faut tripler ses capacités renouvelables d'ici 2030, selon l'accord conclu en 2023 à la COP28.
Comment préserver la transition ?
"La récurrence de prix négatifs envoie un signal urgent montrant qu'il faut plus de flexibilité de l'offre et de la demande," a appelé l'AIE jeudi. Cela signifie rendre les renouvelables plus pilotables et augmenter les capacités de stockage de l'électricité.
Il faut aussi agir sur la demande en incitant financièrement à déplacer les consommations dans le creux de l'après-midi, par exemple pour recharger les véhicules.
A l'instar des centrales fossiles et nucléaires aujourd'hui, les énergies renouvelables devront elles aussi à l'avenir "participer davantage à l'équilibrage du système électrique", indique M. Pierzo.
"La vraie question aujourd'hui c'est: pourquoi la demande électrique n'augmente-t-elle pas aussi vite que les moyens de production ?", ajoute M. Vandenbulcke, déplorant notamment "les signaux contradictoires" envoyés aux consommateurs par une partie de la droite en Europe, qui voudrait revenir sur l'interdiction en 2035 de la vente de voitures thermiques neuves.
Selon l'AIE, la demande électrique en Europe devrait croître d'1,7% cette année, après deux ans de repli lié à la flambée des prix.