Pour restaurer la compétitivité du secteur, une phase d’épuration du stock semble inévitable qui pourrait s’étendre sur cinq à sept ans. Cette situation de sur-offre n’est pas nouvelle : l’histoire du secteur nous enseigne que des rééquilibrages similaires ont déjà eu lieu par le passé.
En nous plongeant dans les crises qui ont marqué les trois dernières décennies de l’immobilier tertiaire, il est possible de dégager des enseignements précieux pour affronter la situation actuelle. S’agit-il d’un simple réajustement entre l’offre et la demande ou d’une véritable mutation structurelle ?
Un retour en arrière sur cinq crises majeures depuis les années 1990 nous éclaire sur la question.
1990-1999 : L’émergence du marché immobilier tertiaire
Les années 1990 marquent l’avènement d’un marché immobilier tertiaire structuré en France, porté par la tertiarisation de l’économie commencée dans les décennies précédentes. Cette croissance se traduit par le développement massif de bureaux en périphérie de l’Île-de-France et la création de pôles tertiaires. Cependant, la Guerre du Golfe (1990-1991) et la récession qui s’ensuit déclenchent la première crise majeure du secteur. En 1993, l’offre de bureaux en Île-de-France surpasse la demande par un facteur de trois, reflétant une surproduction flagrante. Il faudra près de neuf ans pour que les investissements retrouvent leur niveau de 1989. Ce premier choc met en évidence l’importance d’un ajustement lent et complexe entre l’offre et la demande, souvent allongé par l’inertie des cycles de construction.
2000-2009 : La financiarisation et ses crises
La décennie 2000 est celle de la financiarisation de l’immobilier tertiaire. Les évolutions réglementaires, telles que la création des Sociétés d’Investissements Immobiliers Cotées (SIIC) en 2002, des OPCI et SIIC 3 en 2007, encouragent l’afflux d’investisseurs internationaux. L’immobilier commercial devient une classe d’actifs à part entière, avec des volumes d’investissements quintuplés par rapport aux années 1990. Cette période est marquée par un contexte macroéconomique favorable : baisse des coûts de financement, externalisation des fonctions immobilières et production maîtrisée.
Cependant, deux crises financières externes secouent le marché : l’éclatement de la bulle internet en 2002 et la crise des subprimes en 2007. Si la première crise reste relativement maîtrisée, la seconde, amplifiée par l’endettement croissant et la financiarisation des acquisitions, a des effets plus durables. Malgré ces turbulences, l’immobilier tertiaire fait preuve d’une résilience remarquable, avec des cycles de reprise relativement courts – environ deux ans – tant pour le marché de l’Investissement que celui du locatif. L’immobilier s’affirme ainsi comme un actif solide face à la volatilité des marchés financiers.
2010-2019 : L’âge d’or des taux bas
Les années 2010 marquent un âge d’or pour l’immobilier commercial, grâce à une conjoncture économique extrêmement favorable. La politique de taux bas menée par la Banque centrale européenne (BCE) dans le cadre du Quantitative Easing (QE) rend le financement très accessible, attirant des épargnants institutionnels tels que les assureurs ou les SCPI & OPCI. L’immobilier devient une valeur refuge, offrant un rendement attractif face à la dépréciation des actifs dits « sans risque ». Si la crise des dettes souveraines européennes a momentanément affecté la demande de bureaux, l’injection massive de liquidités par la BCE stimule l’investissement et la construction neuve.
Les rendements, amplifiés par cette abondance de crédit bon marché, se maintiennent à des niveaux élevés, parfois artificiellement soutenus par des mesures d’accompagnement, telles que des franchises de loyer. Cependant, cette période de prospérité repose en grande partie sur une situation exceptionnelle de taux très bas, qui masque certaines vulnérabilités structurelles.
Depuis 2020 : Une crise multifactorielle sans précédent
Depuis 2020, l’immobilier d’entreprise fait face à une crise multifactorielle inédite. La pandémie de COVID-19 a eu un impact immédiat et brutal sur la demande, aggravé par l’incertitude des investisseurs. La pérennisation du télétravail, bien que souvent citée, n’a pas encore révélé tous ses effets à long terme, mais contribue à une contraction visible de la demande de bureaux. Ce qui apparaît aujourd’hui, cependant, est moins une crise de la demande qu’une crise de l’offre. La demande pourrait potentiellement rebondir avec une reprise économique, mais l’offre, elle, reste pléthorique.
Le véritable point de bascule intervient mi-2022, lorsque la BCE commence à resserrer sa politique monétaire pour combattre l’inflation, conséquence notamment de la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine. L’arrêt du Quantitative Easing et la hausse de 400 points de base des taux directeurs bouleversent le secteur, avec une augmentation des taux de vacance et des livraisons d’immeubles neufs non commercialisés. Parallèlement, les nouvelles contraintes réglementaires – comme l’objectif Zéro Artificialisation Nette (ZAN) ou les exigences liées à la transition énergétique – augmentent la pression sur les actifs existants.
Le secteur souffre également de la décote des indices boursiers immobiliers, qui surperforment négativement par rapport aux actions depuis 2016 : une baisse de 40% pour l’immobilier coté contre 10 à 20% pour le non-coté. Cette conjoncture laisse entrevoir une longue période de rééquilibrage, où la revalorisation des actifs et la restructuration du parc immobilier seront inévitables.
Leçons de trois décennies de crises
L’analyse des crises passées montre que le marché immobilier tertiaire a toujours su se relever, mais au prix d’ajustements parfois longs et douloureux. Si certaines phases de récession sont le résultat de chocs exogènes, d’autres, comme celle que nous vivons aujourd’hui, révèlent des failles structurelles. La crise actuelle nécessitera des transformations profondes, tant en matière de rénovation d’actifs obsolètes que d’adaptation aux nouvelles attentes des utilisateurs, dans un contexte financier plus contraignant.
L’histoire de ces 30 dernières années nous enseigne que, bien que la reprise soit toujours possible, elle exige des adaptations structurelles. Une chose est sûre : l’immobilier tertiaire, à l’image de la résilience qu’il a démontrée par le passé, saura, une fois de plus, évoluer pour s’adapter aux nouveaux paradigmes.
Tribune de Raphaël Amouretti, CEO & Head of Capital Markets Île-de-France Catella Property (Linkedin).