Le projet de budget 2025 de la Sécu est soumis une dernière fois à l'Assemblée nationale et au Sénat la semaine prochaine, avec un possible recours au 49-3 qui ferait peser la menace d'une censure du gouvernement.
Les soins "toujours remboursés"
La menace a été brandie par l'ex-Première ministre Elisabeth Borne: "Si le budget de la Sécurité sociale devait être censuré, ça veut dire qu'au 1er janvier, votre carte vitale ne marche plus", que "les retraites ne sont plus versées", a-t-elle affirmé sur LCI.
"C'est n'importe quoi !", "faux", "alarmiste", commentent auprès de l'AFP plusieurs spécialistes des prestations sociales.
Tous sont formels : contrairement au budget de l'Etat, nécessaire pour collecter l'impôt, l'absence de loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) n'empêche ni le prélèvement des cotisations sociales, ni le versement des prestations dues.
"Les prestations - remboursements de soins, médicaments, indemnités liées aux arrêts maladie, pensions de retraites... - sont des droits et continueront d'être versés" aux assurés, assure notamment Vincent Dussart, professeur de droit en finances publiques et droit fiscal (Université Toulouse-Capitole).
Les retraites "versées et revalorisées"
A l'inverse du budget de l'Etat, la LFSS n'est pas "une autorisation" de dépenser mais "des prévisions de recettes et de dépenses", soit des objectifs, non limitatifs, fixés par les pouvoirs publics, expliquent plusieurs experts.
En l'absence de LFSS, les retraites seront aussi revalorisées en janvier, "en appliquant la revalorisation prévue par la loi", soit une indexation des pensions de base sur l'inflation constatée par l'Insee fin 2024, assure un fin connaisseur de la Sécu.
Cette règle est inscrite dans le code de la Sécurité sociale. Elle peut être modifiée par une LFSS. Pour 2025, le projet de budget actuel prévoit de ne revaloriser les retraites que de la moitié de l'inflation, sauf pour les pensions inférieures au Smic qui recevraient un complément en juillet.
"Problème financier" sous quelques mois
Un article des LFSS reste toutefois indispensable, selon ces experts. Il fixe chaque année le plafond des emprunts que le "trésorier de la Sécu" (l'Agence centrale des organismes de Sécurité sociale) est autorisé à faire.
La Sécu étant en déficit important, "il faut que la loi autorise à relever ce plafond", sans quoi "les caisses se videraient", pointe un spécialiste, estimant que la Sécu dispose d'une marge de "plusieurs mois" avant la banqueroute.
Mais d'après les sources interrogées, l'exécutif devrait pouvoir régler cette question même sans budget.
Il devrait pouvoir trouver "une solution juridique dégradée en début d'année, loi ou décret, pour recréer une autorisation d'emprunt" et éviter l'interruption de versement des prestations, estime Dominique Libault, le président du Haut conseil pour le financement de la protection sociale (HCFiPS).
Mais pas de LFSS, "ça veut aussi dire aucune mesure correctrice" pour redresser les finances de la Sécu, et donc "un déficit qui part dans le décor", alerte un expert proche des administrations de Sécu.
Financement des hôpitaux
Chaque année au printemps, le gouvernement fixe les tarifs des hôpitaux publics et privés sur la base de l'objectif de dépenses de l'Assurance maladie (Ondam), partie intégrante de la LFSS.
Et s'il n'y a pas de LFSS, "il n'y a pas de base juridique solide pour fixer les nouveaux tarifs", note Dominique Libault.
"Selon toute vraisemblance, en l'absence de textes nouveaux, la seule possibilité serait de reconduire les tarifs antérieurs de 2024. Et ce n'est pas une très bonne nouvelles pour les hôpitaux", estime-t-il.
Perte de pouvoir parlementaire
"Paradoxalement, en l'absence de LFSS, le parlement se priverait d'une grande visibilité sur les comptes sociaux, et d'un pouvoir de contrôle", laissant au gouvernement "une large autonomie", note un haut fonctionnaire, spécialiste de ces questions, anonymement.
Ce serait "un choc énorme", semant le doute "sur la capacité de la France à piloter une stratégie budgétaire dans un contexte ou un redressement financier est inéluctable", commente également Dominique Libault.
"Le coût des emprunts va augmenter, donc de fait le déficit aussi, et la dépendance aux marchés financiers", alerte-t-il. "Par notre incapacité à prendre des mesures en temps utile, on aliène une partie de notre souveraineté avec une dépendance plus grande aux marchés financiers, et on ouvre la voie à des mesures encore plus drastiques à l'avenir".