Avec ses lignes bancales et ses ornements étranges, le bâtiment de Keisuke Oka a été comparé à celui du film d'animation du Studio Ghibli "Le Château ambulant".
Cet emblématique immeuble "Arimaston", haut de quatre étages, a mis près de deux décennies à sortir de terre des mains d'un architecte persuadé que son approche lente de la construction peut et doit servir d'exemple au monde, où tout doit aujourd'hui se bâtir vite.
En 2005, M. Oka a voulu bâtir seul son projet, né d'une impression: les constructions des villes et des villages japonais étaient "très tristes et dénués de vie", comme s'ils étaient "tous conçus sur un ordinateur".
Inspiré par le butoh, cette danse japonaise lente, minimaliste et surréaliste, M. Oka s'est alors mis à construire une oeuvre un peu folle.
Mis à part l'aide de quelques amis, il a construit lui-même l'ensemble du bâtiment et prétend même que le béton - qu'il a lui-même mélangé - est d'une telle qualité qu'il durera plus de 200 ans.
"Concevoir et construire en même temps"
Autre défi que s'est infligé M. Oka, surnommé le "Gaudi de Mita", le quartier de Tokyo où se trouve "l'Arimaston Building": il a conçu son immeuble au fur et à mesure de l'avancée des travaux.
"La personne qui construit un bâtiment et celle qui le conçoit sont très éloignées, regrette-t-il. Afin de donner vie au bâtiment, j'ai essayé de le concevoir et de le construire en même temps."
M. Oka explique à l'AFP que la structure est pratiquement terminée et qu'il prévoit de vivre dans les trois derniers étages et d'utiliser le rez-de-chaussée et le sous-sol comme studio et espace d'exposition.
"Il est très facile de réaliser la différence avec les immeubles de grande hauteur juste derrière", déclare-t-il en faisant référence aux gratte-ciels en arrière-plan de l'Arimaston Building.
Autre écueil pour son projet: le quartier fait l'objet d'un réaménagement à grande échelle et les appartements voisins ont été démolis. Dans le cadre de ces travaux, l'immeuble de Keisuke Oka doit être reculé de 10 m, ce qui implique de transporter toute la structure sur des rails.
Une fois cette opération terminée, il a l'intention d'emménager et de continuer à travailler sur les finitions, en plus de son travail d'enseignant dans les universités.
En se lançant dans ce projet au début du siècle, il n'imaginait toutefois pas qu'il lui prendrait près de 20 ans.
"J'ai pensé qu'avec mes capacités, je pourrais y arriver en trois ans", sourit-il aujourd'hui.
"Arrêter de produire en masse"
M. Oka a grandi dans une région rurale du Japon et lorsqu'il était encore étudiant en architecture, ses professeurs avaient décelé un énorme potentiel chez lui.
Mais une dépression à la trentaine l'a poussé à abandonner l'architecture pendant quelques temps, avant que sa femme ne le persuade d'acheter un petit terrain et d'y construire une maison.
Aujourd'hui, il reconnaît que ce projet de l'Arimaston Building lui a redonné confiance et il s'amuse de la réaction étonnée des passants.
M. Oka espère que les gens pourront apprécier la valeur de la fabrication artisanale, même dans une ville comme Tokyo.
"Avant, on manquait de beaucoup de choses dans le monde, mais maintenant il y en a trop", explique à l'AFP Keisuke Oka, à l'intérieur des murs gris et incurvés du bâtiment.
"Nous devons arrêter de produire en masse et trouver une autre solution, sinon nous filons droit vers les problèmes."
Il dit aussi avoir été inspiré par son éducation, lorsque sa mère fabriquait des vêtements pour la famille parce qu'ils n'avaient pas les moyens de les acheter.
"Plus de la moitié des vêtements que nous fabriquons actuellement sont jetés", constate-t-il, décrivant un monde "débordant d'objets". "Nous devons commencer à fabriquer à un rythme plus lent", prône-t-il après avoir fait ses preuves dans l'art de la lenteur.