"Avec moins d'aide, cela va être très compliqué. (...) Si je devais payer les alternants quasiment plein pot, clairement, je n'en prendrais plus", prévient Amélie Corvaisier, venue présenter ses confitures artisanales au salon du Made in France, qui a ouvert ses portes vendredi à Paris.
Dans sa Ferme de la Métairie, au Mans (Sarthe), elle emploie cette année deux apprentis, sur neuf salariés.
Elle paie leurs salaires, une partie de leurs frais de formation, et reçoit 500 euros par mois de subvention pendant la première année du contrat.
C'est ce montant que le gouvernement souhaite abaisser dans son projet de budget pour 2025, en cours d'examen à l'Assemblée nationale.
Pour "rationaliser le soutien public", la subvention pourrait passer de 6.000 euros annuels par apprenti à 4.500 euros.
"C'est déjà un investissement de temps, mais si cela devient aussi un investissement financier, je préférerai prendre un salarié", avance Amélie Corvaisier.
Dans certains domaines de niche, où les possibilités d'emploi sont parfois rares, on s'inquiète "qu'avec une vraie baisse des aides, beaucoup aient du mal à trouver un maître d'apprentissage", déplore Quentin de Leeuw, luthier de guitares et de basses haut de gamme à Pont-Sainte-Maxence (Oise).
Ce dernier a déjà arrêté de recruter des alternants, y trouvant difficilement son compte lors de la deuxième année de contrat, quand les aides s'arrêtent.
Un facteur d'insertion
Pour le président du réseau national des Chambres des métiers et de l'artisanat, Joël Fourny, "le risque, c'est d'avoir des jeunes qui ne vont pas trouver d'emploi et qu'il faudra traiter sur le volet social, ce qui va également coûter de l'argent au lieu d'en économiser en baissant les aides."
70% des contrats d'apprentissage sont signés dans les PME, affirmait mi-octobre le président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) François Asselin. "C'est une très grande réussite qui a contribué à la baisse du chômage ces dernières années", a-t-il estimé, déplorant le projet de baisse des aides.
"L'apprentissage dans l'artisanat, c'est hyper important pour l'insertion", abonde Florent Francolon, artisan chocolatier à Montluçon (Allier), qui en embauche trois sur ses neuf salariés.
"Le recrutement est compliqué, alors avoir des alternants qu'on peut former et avec qui ont peut travailler pendant des années le simplifie énormément", élabore le gérant d'Au bon chocolat.
Le nombre d'alternants a explosé à partir de 2018, après une réforme qui a notamment libéralisé l'ouverture de centres de formation et élargi le dispositif aux 26-29 ans, ainsi qu'augmenté les primes à l'embauche.
Le gouvernement prévoit désormais une stabilisation du nombre d'apprentis, dont le nombre est passé de 317.000 en 2017 à 853.000 en 2023. Emmanuel Macron s'était donné l'objectif d'un million d'apprentis par an.
Hausse des cotisations
En plus de réduire les primes à l'embauche, le gouvernement souhaite une baisse des exonérations sur les cotisations salariales dont bénéficient les contrats d'apprentissage.
Elles ne s'appliqueraient plus que jusqu'à la moitié du Smic, et non jusqu'à 0,79 Smic comme aujourd'hui, ce qui va augmenter le coût pour les employeurs des apprentis les mieux rémunérés.
Un récent rapport de l'Inspection générale des finances (IGF) avait calculé que le coût des aides à l'apprentissage a été multiplié par 3,4 entre 2018 et 2022.
"Sur 14 milliards aujourd'hui de soutien public à l'apprentissage, quatre milliards sont destinés au soutien aux employeurs", avait rappelé à la mi-octobre la ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet.
Autant de gisements d'économies dans le viseur du gouvernement, qui souhaite ramener le déficit public à 5% du PIB l'an prochain.
"Les chefs d'entreprise sont très responsables, ils savent qu'il y a des moments un peu difficiles et qu'il faut savoir surmonter", a estimé vendredi la ministre déléguée à l'artisanat Françoise Gatel, interrogée par des journalistes au salon du Made in France.
Les entreprises d'insertion demandent le maintien de l'effort de formation
La Fédération des entreprises d'insertion s'est dit inquiète mardi d'une baisse des budgets consacrés à la formation pour des salariés qui sont en insertion et demandent notamment le maintien de l'exonération des cotisations patronales sur les bas revenus.
Les entreprises d'insertion (EI) ont pour vocation de proposer l'accès à l'emploi et offrir un accompagnement socioprofessionnel à des personnes qui en sont éloignées tels que les demandeurs d'emploi de longue durée, allocataires de minima sociaux, jeunes sans qualification, etc.
Dans un contexte de restriction budgétaire, et quelques heures avant l'examen à l'Assemblée du budget de la mission Travail et Emploi, elles s'inquiètent ainsi d'une baisse de leurs moyens.
"Une de nos inquiétudes concerne la réduction des fonds de formation", s'alarme auprès de l'AFP le président de la Fédération des entreprises d'insertion, Luc de Gardelle, dénonçant "une erreur fondamentale".
"La formation permet de donner des outils aux salariés pour s'intégrer dans les entreprises, être plus flexibles et s'adapter", relève le dirigeant.
Les entreprises d'insertion redoutent ainsi "une nouvelle baisse de 10 à 15 millions d'euros par rapport à 2024" du budget. "Alors que le précédent ne permettait déjà de former les salariés que sept heures par an et par personne, le nouveau budget ferait tomber ce chiffre à 5h45 !", écrivent-ils dans un communiqué, rappelant que "80 % du public en insertion a un niveau infra-bac".
En deux ans, les entreprises d'insertion ont créé "30.000 postes, passant de 70.000 à 100.000", relève M. de Gardelle. En 2024, ce sont plus de 100.000 personnes, éloignées du marché du travail et précaires, qui auront bénéficié de cet accompagnement.
"Au total, 67% des personnes que nos entreprises accompagnent retrouvent un emploi au bout de leur formation qui dure en moyenne 11,4 mois", salue M. de Gardelle, alors "comment peut-on imaginer baisser l'effort de formation ?".
En outre, compte tenu de la fragilité financière de ces entreprises dont "35% d'entre elles ont présenté un résultat net négatif l'an dernier", la Fédération demande à l'État de les exonérer d'une hausse des cotisations patronales sur les bas revenus.
Les allègements de charges patronales sont actuellement les plus élevés au niveau du Smic, créant une "trappe à bas salaires" qui freine leur progression, une faille à laquelle le gouvernement se dit prêt à s'attaquer.
Image d'illustration de l'article via Depositphotos.com.