Leur prolifération alimente un ardent débat en Argentine sur la protection de l'environnement et les inégalités dans le pays où 42% de la population est considérée comme pauvre.
Véritable ville "fermée" avec ses maisons individuelles toutes équipées d'une piscine, ses complexes sportifs, ses lieux de culte et ses écoles, Nordelta vante d'offrir "la tranquillité de la nature et le confort de la ville" à ses riches habitants en quête de sécurité et d'homogénéité sociale, avec ses quartiers segmentés et ses vigiles privés.
Construit il y a 20 ans, Nordelta a été érigé sur les zones marécageuses à l'embouchure du fleuve Parana qui se jette dans le Rio de la Plata au nord de Buenos Aires.
Le complexe s'étend aujourd'hui sur 1.600 hectares où pataugeaient paisiblement autrefois des familles de cabiais, ces cochons d'eau également appelés capybara (Hydrochoerus hydrochaeris), le plus grand rongeur du monde qui peut peser jusqu'à 80 kilos.
"Vivre avec eux"
"Les capybaras ont toujours été là. On en voyait quelques-uns de temps en temps. Mais il y a trois ou quatre mois, ils (les promoteurs immobilier) se sont attaqués à leur dernier refuge entraînant la débandade", explique à l'AFP Perla Paggi, une voisine de Nordelta qui plaide pour la préservation de ces mammifères herbivores.
Le défrichage de l'unique terrain vierge restant pour construire une clinique privée a délogé des centaines de familles qui ont envahi les quartiers chics.
"Nous devons apprendre à vivre avec eux, ce ne sont pas des animaux agressifs. Ils sont sans défense, on les enferme, on les prive de leur habitat et maintenant on se plaint parce qu'ils nous envahissent", souffle Mme Paggi qui plaide pour la mise en place d'une "réserve de 20 ou 30 hectares pour maintenir la diversité".
"Nordelta était une zone humide très riche qui n'aurait jamais dû être touchée. Mais maintenant que le mal est fait, les voisins doivent parvenir à un certain niveau de coexistence avec les capybaras", renchérit le biologiste Sebastian di Martino, directeur de la conservation à la Fondation Rewilding Argentina.
"Mais ce n'est pas si simple", prévient-il, estimant que la création d'une réserve ne sera pas suffisante pour contenir la population en expansion, une femelle pouvant faire une portée de six petits chaque année.
"Il faut les tenir éloignés des enfants et des animaux domestiques. Et il faudra trouver un moyen de réguler leur population, peut-être en les déplaçant vers d'autres endroits", explique M. Di Martino.
Selfies et mèmes
Dans l'attente d'une solution, les cabiais sont devenus une attraction photographique à Nordelta et un sujet de conversation en Argentine.
Les réseaux sociaux regorgent de selfies et mèmes, certains saluant une nouvelle "guerre des classes" avec les cabiais venus récupérer leurs terres usurpées par les riches habitants de Nordelta.
Un photomontage d'un cabiais lisant "Le Capital" de Karl Marx a été largement partagé autour du mot-dièse "#carpinchosvsChetos" (les cabiais contre les bourgeois, ndlr).
Les habitants de Nordelta publient eux des vidéos d'accidents de la circulation causés par les cabiais traversant dangereusement les routes, des photos de poubelles renversées ou même d'un chien apparemment mordu par l'animal semi-aquatique.
La prolifération des cabiais n'est pas une problématique propre à Nordelta mais également pour "de nombreuses régions du pays, urbanisées ou pas", note le biologiste.
Sebastian di Martino pointe "l'altération et la dégradation des écosystèmes" qui ont "fait disparaître beaucoup d'espèces qui étaient leurs prédateurs naturels".
Le cabiais est un mets de choix pour les jaguars, pumas, renards, chiens et chats sauvages, mais leur population est quasiment éteinte en Argentine.
"Sans prédateur qui régule sa population et génère également de la peur", le cabiai "ne se cache plus et passe toute la journée à manger", note-t-il.
Un renversement de tendance pour cette espèce qui il y a 20 ans était menacée par la chasse intensive.
"Leurs peaux étaient très prisées pour la fourrure... mais cette mode est passée", explique M. Di Martino.