Pour recouvrir de ces 2.000 mètres carrés de tissu la façade de ce lieu emblématique de la scène artistique londonienne, tout a commencé avec le tissage manuel de bandes rose fuchsia et violettes. Elles ont ensuite été assemblées à la main dans un stade au Ghana, parfois par jusqu'à 500 personnes en même temps.
"Je me suis toujours intéressé au travail, aux conditions du travail, à l'histoire du travail, et comment le travail est infligé aux corps", a expliqué mardi à l'AFP l'artiste, connu pour ses immenses installations recouvertes de toile de jute.
L'ensemble, renforcé par des filets de pêche non apparents pour résister au vent, se pare d'une centaine de "batakaris", tenues traditionnelles ghanéennes qui passent de génération en génération et se portent lors de toutes occasions, mariages, enterrements...
Des vêtements marqués par l'usure des années, la sueur, mais aussi parfois de l'urine, que leurs propriétaires répandent dessus quand ils s'en défont, pour "séparer l'âme du matériau", explique l'artiste, qui a commencé à les collecter il y a une douzaine d'années.
Une telle quête s'avère ardue tant "il est difficile de convaincre les gens de donner des choses qu'ils ont possédées depuis des générations", souligne Ibrahim Mahama, "les gens les transmettent d'une génération à l'autre" et pensent que "l'âme de la famille est en quelque sorte contenue dans ces tissus".
Parfois ornées d'amulettes, ces tenues étaient parfois aussi perçues comme des armures censées protéger des balles des soldats des puissances coloniales.
Baptisée "Purple Hibiscus", du nom du roman de l'écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie de 2003 (paru en français sous le nom "L'Hibiscus pourpre"), l'oeuvre résonne avec le passé de l'endroit, détruit pendant la seconde Guerre mondiale et jadis haut-lieu du commerce des tissus.
Elle présente un contraste entre la dureté du béton et la fragilité et la légèreté du tissu et des tuniques chargées d'histoires, et doit "nous permettre de réfléchir sur la condition humaine" et "la question de la vie elle-même en relation avec ce qu'est le monde dans lequel nous vivons", explique l'artiste.
Mise à rude épreuve par la pluie et le vent de la capitale britannique, l'installation "durera aussi longtemps qu'elle le pourra", s'amuse l'artiste, se souvenant lors de la commande de l'oeuvre avoir voulu égayer le gris du ciel londonien.
"Mais une fois que vous avez produit une oeuvre censée être exposée en public", souligne Ibrahim Mahama, "l'artiste doit accepter qu'il peut lui arriver n'importe quoi".