La France, où sont basés plusieurs géants mondiaux du bâtiment et des routes, est "en tête des pays européens en termes de recyclage des déchets de la construction", indique à l'AFP Mathieu Hiblot, secrétaire général de l'Union nationale des producteurs de granulats, lors de la visite d'une ancienne usine en démolition.
Le tiers des granulats consommés dans le pays vient du recyclage, qui fournit surtout des ouvrages routiers.
Sur le chantier de "demol", les pelleteuses s'activent. 20.000 tonnes de caillasse de béton doivent sortir du site, l'équivalent d'une petite carrière de pierres.
Cette pratique, qui permet d'économiser des ressources naturelles extraites de carrières, est encouragée par l'Association mondiale du ciment et du béton (GCCA) pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Le besoin de recyclage est d'autant plus fort que la fabrication du ciment - ingrédient essentiel du béton - génère trois fois plus d'émissions au niveau mondial que le transport aérien.
Depuis 200 ans, pour en fabriquer, on cuit du calcaire dans des fours à 1.400°C, une cuisson qui dégage presque une tonne de CO2 par tonne de ciment fabriqué.
La France s'est fixé des normes ambitieuses: à partir du 1er janvier 2022, une nouvelle réglementation intègrera l'impact carbone des bâtiments sur les trois phases de leur cycle de vie: construction, exploitation mais aussi fin de vie.
Logistique des gravats
En Ile-de-France, le recyclage est grandement facilité par le fait que la région densément urbanisée connaît de nombreux programmes de rénovation urbaine.
Il bénéficie surtout d'un facteur unique: la Seine facilite le transport et la logistique des gravats. Ce qui réduit le nombre de camions sur les routes et permet de limiter le bilan carbone de la démolition.
Sur le fleuve, d'immenses barges plates charrient chaque jour des milliers de tonnes de déchets de construction venus de toute la région parisienne.
Des mini-ports répartis sur les berges d'est en ouest de la capitale servent de points de tri.
A Saint-Denis, on charge. A Gennevilliers, on décharge. Sur le port, le site de recyclage de la filiale française du géant mexicain Cemex dispose d'une capacité de traitement de 200.000 tonnes de béton par an. Il y a 25 ans, ce recyclage a été impulsé par les géants des routes, les Vinci, Eiffage ou Colas (Bouygues).
Toutes les barges ne vont pas au recyclage. Certaines filent jusqu'en Normandie, où elles sont déchargées... dans d'anciennes carrières de pierres.
Mais "l'avenir, c'est démolir et réutiliser", juge le directeur adjoint de Cemex France, Francisco Aguilar, dans un nuage de poussière blanche.
La "demande" en béton recyclé devient "de plus en plus forte" du côté du bâtiment, ajoute M. Hiblot.
Derrière lui, une énorme concasseuse rouge avale et déchiquette les blocs qui arrivent sur un tapis roulant. Surnommé le "caviar", ce béton est issu des excédents de centrales à béton: celui qui a "pris" (séché) avant d'avoir eu le temps d'être utilisé.
Le tout ressort en fin granulé. Il produira un béton très honorable.
Sous son casque vert, le responsable de la centrale à béton du site Fodil Zemani affiche ses performances: son béton recyclé représente 60% de sa production totale.
Le reste, pour 30%, est à base de granulat extrait de carrières, et pour 10%, un béton "ultra zéro carbone", où le liant du ciment, le clinker, particulièrement émetteur, est remplacé par des déchets de sidérurgie venant de Dunkerque.
Pour l'instant, la part du béton recyclé dans les constructions neuves n'excède pas 5% en France, admet François Petry, patron du cimentier Lafarge Holcim France. Il demande une évolution des normes permettant l'incorporation de volumes plus importants de béton recyclé. L'ambition serait d'arriver à 20% pour certains types de béton.
Pour Benoit Perez, responsable du concasseur de Cemex, "il y a aussi des progrès à faire côté démolition, mieux trier, enlever le bois, le plastique, le plâtre, afin de pouvoir faire du béton de qualité avec du vieux béton".