A quelques jours du premier sommet sur les métaux critiques, organisé jeudi à Paris par l'Agence internationale de l'Energie (AIE), le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives a ouvert à la presse les portes de la centrale de Marcoule en démantèlement et reconvertie en centre de recherche.
"Nous cherchons comment stocker, convertir, transporter l'électricité et comment rendre efficace la transition énergétique", explique Richard Laucournet, chef du département des nouveaux matériaux du CEA.
"Or tous les dispositifs de conversion de l'électricité nécessitent beaucoup des 34 métaux critiques répertoriés par l'Union européenne", fait-il valoir.
D'où l'intérêt de récupérer métaux rares et aimants contenus dans les "mines urbaines" du futur que sont les équipements électriques d'aujourd'hui. Avec pour objectif de les réutiliser industriellement, une stratégie cruciale pour un pays qui ne possède quasiment plus de mines et dépend essentiellement des importations.
"Sans le savoir"
"En aucun cas, ce recyclage ne permettra à la France de devenir souveraine et indépendante" prévient néanmoins Philippe Prené, responsable économie circulaire des énergies bas carbone du CEA.
Selon son calcul, le recyclage des métaux pourrait permettre d'assurer environ 35% d'autonomie à l'Europe dans les batteries.
Beaucoup des techniques utilisées par les chercheurs de Marcoule pour caractériser ou séparer les matériaux sont issues de leur savoir-faire dans les sciences de l'atome.
"Le nucléaire sait faire de l'économie circulaire depuis 70 ans sans le savoir, cela s'appelle le cycle du combustible", dit M. Prené, c'est-à-dire le retraitement et la réutilisation du combustible nucléaire.
"Grâce aux outils de simulation développés ici, on fait le retraitement des terres rares des aimants", précise Richard Laucournet.
Dans un des labos de l'unité Atalante, des télémanipulateurs travaillent face à des enceintes étanches, à l'aide de grandes pinces à travers une vitre d'un mètre d'épaisseur en découpant des crayons de combustible irradiés.
Les tronçons en alliage sont placés dans des solutions d'acides à chaud, explique Nathalie Herlet, adjointe au chef du département de recherche sur les procédés. Le métal se dissout. Et peut ensuite être extrait via l'utilisation de solvants organiques et de décanteurs.
Le procédé est adapté pour récupérer le lithium, le nickel, le cobalt, et le graphite de la "blackmass" issue du broyage des cellules de batteries électriques automobiles.
La technique des "sels fondus" en développement à Marcoule, vaudra, elle, aussi bien pour le recyclage des combustibles des futurs réacteurs de 4e génération annoncés, que pour valoriser les terres rares comme le néodyme des aimants, ajoutent les chercheurs.
Des technologies d'autant plus utiles qu'il "n'existe pas de réelle filière de recyclage des aimants" dans le monde, à l'exception des rebuts de production en Asie, souligne M. Laucournet.
"Fluides supercritiques"
Dans le photovoltaïque, une technique à base de "fluides super-critiques" est utilisée. Du gaz carbonique CO2 sert à décoller et faire gonfler les cellules de panneaux solaires, permettant la récupération du silicium et de l'argent qui y sont contenus.
Dans le nucléaire, l'eau "à l'état supercritique", qui "rentre à l'intérieur de la matière", est qualifiée depuis 2015 pour aider à enlever la radioactivité de métaux à l'état liquide, dans l'espoir de gérer un jour les déchets radioactifs, explique Mme Herlet.
Ce procédé sur lequel le CEA travaille depuis "plus de 20 ans" est décliné pour le recyclage des pales d'éoliennes. L'eau à très haute température et très haute pression "casse" les chaînes de polymères des composites en fibre de verre ou de carbone qui composent pales d'éoliennes et réservoirs à hydrogène.
Dans le nucléaire pur, le CEA travaille aussi sur l'éventuel recyclage d'une partie des produits de fission radioactifs voués à être vitrifiés et enterrés pour l'éternité: les fameux déchets radioactifs.
"Ils contiennent des métaux très rares et très chers, générés par la réaction nucléaire elle-même", "des platinoïdes comme le palladium, du rhodium ou du ruthénium" notamment, indique M. Prené. "On a commencé les études pour les extraire. Ca fonctionne", dit-il.
"Si on avait l'autorisation de récupérer le rhodium et de le valoriser", (...) cela permettrait d'extraire à peu près 700 kg par an" de ce métal, soit "près de 20% de la production mondiale".