A Emerainville (Seine-et-Marne, est de Paris), la société Yprema, spécialisée dans le traitement et le recyclage des déchets de construction, a vu quasiment doubler en un an ses volumes de vieux parpaings, tuiles, céramiques de salles de bain ou béton de démolition déposés par les artisans du bâtiment.
"En 2023-24, nous avons collecté 3.700 tonnes de déchets inertes de construction auprès des artisans, contre environ 2.000 tonnes les années d'avant", explique le directeur-commercial d'Yprema, François Przybylko.
En incluant les déchets issus de chantiers de démolition menés par de grands groupes spécialisés, Yprema dit avoir réceptionné au total 170.000 tonnes de déchets triés l'an dernier.
Depuis mi-2023, il est rémunéré par l'un des quatre nouveaux éco-organismes du bâtiment lancés pour organiser la collecte, le tri et le recyclage des déchets du secteur, Ecominero (avec Ecomaison, Valobat et Valdelia).
Cependant, le groupe ne voit pour l'instant aucun lien entre l'augmentation des déchets du bâtiment collectés et la mise en place progressive depuis mai 2023 de cette nouvelle filière REP (à responsabilité élargie du producteur) de traitement des déchets.
La filière - dite PCMB pour "Produits et matériaux de construction du secteur du bâtiment"- est bâtie sur le principe du pollueur-payeur: ce sont désormais les distributeurs de matériaux eux-mêmes, ceux qui les mettent sur le marché, qui paient une redevance à un éco-organisme pour financer la prise en charge de la fin de vie et du recyclage des matériaux lorsque ceux-ci seront devenus des déchets.
Ainsi, à l'autre bout de la chaîne, les entreprises et artisans du bâtiment bénéficient désormais de la gratuité pour larguer leurs déchets de démolition dans les points de reprise (distributeurs, déchetteries), à condition qu'ils soient triés.
2.089 décharges sauvages en 2023
Auparavant, ils devaient payer pour se débarrasser de leurs rebuts de déconstruction en déchetterie ou dans des entreprises de recyclage. Ce qui incitait certains à les abandonner au coin d'un bois ou le long d'un champ à la nuit tombée, ni vu, ni connu.
L'ONG France Nature Environnement (FNE), qui recensait en 2019 un peu plus de 1.000 dépôts de déchets sauvages en France, en a encore compté 2.089 en 2023.
"L'objectif, bien évidemment, c'est qu'avec la mise en place de la gratuité, les dépôts sauvages diminuent le plus possible et qu'il n'y ait plus aucune raison d'aller déposer ailleurs que dans un site spécialisé ces déchets inertes du bâtiment", explique François Demeure-dit-Latte, directeur général d'Ecominero.
Selon lui, on constate déjà "plus de 20% de déchets apportés par les détenteurs de déchets" dans certaines entreprises. "Ca va encore progresser, puisque le service va être de plus en plus connu et les entreprises vont comprendre davantage qu'en triant mieux leurs déchets, elles vont pouvoir obtenir cette gratuité".
"Pas d'accord", répond François Excoffier, président de la fédération des entreprises de recyclage Federec, interrogé par l'AFP. Il conteste le nouveau système, dont il demande une "réforme globale".
"La filière se met difficilement en place, rien ne marche, car les entreprises du bâtiment ne sont pas habituées à trier leurs déchets et n'ont pas le personnel pour", dit-il.
Selon lui, elles se plaignent de payer deux fois le même service: à l'achat des matériaux puisque le coût de l'évacuation des déchets est inclus dans le prix désormais (dans l'écocontribution); puis au final chez le recycleur qui ne leur accorde pas la gratuité lorsque les déchets ne sont pas triés.
"Et pour nous, entreprises de recyclage, le nouveau système ne nous convient pas non plus", ajoute-t-il. "Ecominero nous indemnise 30 euros la tonne pour récupérer des gravats, alors que nous facturions ce service 49 euros la tonne" à nos clients auparavant. "C'est clairement une perte pour nous".
Ce qui n'empêche pas Ecominero d'ambitionner le "recyclage de plus de 9 millions de tonnes de déchets d'ici la fin de l'année", selon M. Demeure-dit-Latte.