Faire avancer la science ou préserver le patrimoine ? Marie Curie, qui repose au bout de la rue, au Panthéon, où François Mitterrand l'a fait entrer en 1995 avec son mari Pierre, "ne défendait pas le passé mais le futur en réclamant des laboratoires".
C'est ce qu'affirment dans une lettre Thierry Philip, le président du directoire de l'Institut Curie, et un arrière-petit-fils de Marie Curie, Marc Joliot, membre du conseil de surveillance.
Cette fondation de lutte contre le cancer veut construire sur ce site un bâtiment de cinq étages, soit environ "2.000 m2" de surface, pour abriter "le premier centre de chimie biologique sur le cancer en Europe", explique Thierry Philip à l'AFP.
Première femme à recevoir un prix Nobel (de physique, avec Pierre, en 1903), première femme à enseigner à la Sorbonne, Marie Curie reste à ce jour la seule personne à avoir obtenu deux Nobel dans deux disciplines différentes, avec celui de chimie en 1911.
En 1914, l'Institut du radium qu'elle a fondé s'installe dans un ensemble de trois bâtiments rue d'Ulm, sur la Montagne Sainte-Geneviève, haut lieu de la recherche française.
"Lieu de stockage" ?
C'est le plus petit des trois, un élégant édifice en pierres et briques de deux étages, appelé Pavillon des sources, qui fait l'objet d'un permis de démolir.
Sa valeur patrimoniale est contestée: pour Thierry Philip, il s'agit d'un "lieu de stockage des sources radioactives mais pas d'un laboratoire. Marie Curie n'y travaillait pas".
Sauf que le musée Curie lui-même indique sur son site que la scientifique y a "formé une équipe destinée à la fabrication des ampoules d'émanation du radium", alors utilisées dans les "hôpitaux militaires pour aseptiser les blessures de guerre" de 1914-18.
"Il s'agissait d'une partie essentielle du laboratoire historique de Marie Curie", soutient Baptiste Gianeselli, qui milite contre ce projet, photos, textes et témoignages à l'appui. Selon lui, la destruction du bâtiment est "imminente" après le déploiement de barrières et le démontage de l'escalier de secours vendredi.
Anne Biraben, élue LR du 5e arrondissement, souligne que l'Institut Curie a déjà détruit cet automne un bâtiment Art déco sur son site, malgré les protestations.
A la place, l'Institut Curie construit un "nouvel hôpital" qui servira à "faire se rencontrer chercheurs et médecins", justifie Thierry Philip.
En septembre, la Commission du Vieux Paris, une instance consultative de la mairie, qui reste décisionnaire sur les permis, avait réprouvé en vain "le caractère massif et disproportionné" du projet.
Ensemble "dénaturé"
Quant au bâtiment rasé, "on ne l'a pas vu venir", résume Grégory Chaumet, membre de cette commission et président de l'association Paris Historique, qui demande une "instance de classement" afin de surseoir au projet.
Le futur bâtiment menace aussi les "tilleuls centenaires" que Marie Curie avait fait planter dans le jardin adjacent, ajoute SOS Paris, une autre association.
Le sujet est devenu politique depuis que, mi-octobre, la cheffe de l'opposition LR du Conseil de Paris, Rachida Dati, a demandé à la ministre de la Culture Rima Abdul-Malak l'inscription du site au titre des monuments historiques.
Thierry Philip affirme qu'il ne "va pas détruire" le pavillon tant qu'il n'aura pas "reçu le permis de construire".
Ce dernier "suit le chemin habituel" mais "tous les feux sont au vert", a indiqué l'adjoint à l'urbanisme Emmanuel Grégoire, rappelant que les Architectes des bâtiments de France ont "émis un avis favorable".
Pour Thierry Philip, "ce projet doit s'insérer sur la Montagne Sainte-Geneviève", à côté des autres prestigieux établissements du quartier, pour "garder des chercheurs de très haut niveau" en France.