Quartier Barbusse de Garges-lès-Gonesse, peu après 06H00 du matin. Entre les modestes immeubles de sept étages encore endormis, un contingent de fonctionnaires trace son chemin pour inspecter plusieurs appartements soupçonnés d'être utilisés par des marchands de sommeil avant que leur occupants ne se lèvent et ne partent pour la journée.
"Les marchands de sommeil sont des criminels", dénonce auprès de l'AFP le préfet du Val-d'Oise, Philippe Court, qui assiste à l'opération, "ce sont des gens qui n'ont aucun respect pour la personne humaine quand on voit les conditions dans lesquelles ils logent leurs concitoyens".
Dans le premier appartement visité, trois chambres pour une soixantaine de mètres carrés, les équipes découvrent à l'intérieur dix couchages et huit hommes pakistanais. Via un interprète en ourdou, les occupants sont regroupés dans la même pièce pour vérifier leur identité et leurs documents.
Pendant ce temps, des agents de la ville, de la préfecture et de la police se faufilent entre les lits sur lesquels les couvertures gisent en désordre. Photographiant, mesurant, notant, ils procèdent à des constats pour nourrir le dossier qui pourra être utilisé contre le propriétaire des lieux, qui n'y réside pas.
Dans les cas des quatre appartements visés par cette opération matinale, repérés au préalable par les services municipaux, les autorités s'inquiètent surtout de suroccupation des logements.
Pour maximiser le profit, les marchands de sommeil ne perçoivent en effet pas de loyer global pour leur bien mais facturent au matelas - entre 150 et 200 euros par mois dans cette partie du Val-d'Oise -, qu'ils sont donc tentés de multiplier.
"Mafia rodée"
"La suroccupation implique une notion de surface. Il y a un nombre de personnes par surface, et pas plus de deux personnes par pièce. La surface totale du logement, c'est 9m2 pour une personne seule, 16m2 pour deux personnes et on rajoute 9m2 par personne supplémentaire", détaille à propos des limites autorisées Sylvie Breda, technicienne sanitaire à l'Agence régionale de santé.
Fléau qui ronge les quartiers populaires, l'habitat indigne est une notion qui peut désigner aussi bien des logements insalubres, installés dans des lieux impropres à l'habitation, dans des bâtiments en péril ou en situation de suroccupation organisée.
L'Etat estime qu'environ 400.000 logements en France métropolitaine sont potentiellement indignes, un chiffre englobant toutefois une grande hétérogénéité de situations.
Dans le Val-d'Oise, le problème est principalement concentré sur les villes pauvres du sud de ce département de région parisienne (Sarcelles, Garges-lès-Gonesse, Villiers-le-Bel, Argenteuil...), qui ont connu une urbanisation galopante et une explosion démographique à partir des années 1960.
Dans un appartement du deuxième étage, les lits ont fait place à des nattes: ici les occupants sont des migrants afghans. Dans un autre immeuble, les fonctionnaires tombent nez-à-nez avec des Bangladais. L'un d'entre eux, qui perçoit les loyers pour le compte du propriétaire, part en garde à vue.
Les victimes des marchands de sommeil sont souvent des migrants en transit vers le Royaume-Uni, auxquels les passeurs imposent une halte pour se faire rémunérer, explique à l'AFP le maire UDI de Garges-lès-Gonesse, Benoît Jimenez.
"C'est une population que l'on retrouve dans les gares à vendre des cigarettes à la sauvette. Ils les logent, en échange de quoi ils doivent bosser et payer. C'est une mafia extrêmement bien rodée", décrit-il.
En 2023, les 314 enquêtes d'insalubrité dans le Val-d'Oise ont abouti à 134 arrêtés préfectoraux, contre 110 en 2022. Les amendes pour non respect du permis de louer ont bondi au passage, d'un total de 9.500 euros en 2021 à 130.000 euros l'année dernière.
Les autorités locales essayent désormais de coupler les sanctions administratives avec l'action de la justice pour faciliter les poursuites pénales à l'encontre des marchands de sommeil.
"Le propriétaire est tenu théoriquement de reloger des locataires à ses frais quand on prend des arrêtés d'insalubrité. Dans les faits, la confiscation (des biens immobiliers par la justice) est la réponse la plus aboutie et la plus dissuasive vis-à-vis des marchands de sommeil", juge le préfet.