Emmanuel Macron a déjà levé le voile sur les nouvelles couleurs du chef d'oeuvre de l'art gothique de plus de 860 ans, qui a retrouvé une luminosité jamais connue de mémoire de vivant, lors d'une ultime visite de chantier retransmise à la télévision vendredi.
Murs d'une blondeur éclatante, décors peints des chapelles et vitraux rayonnant de couleurs éclatantes aux côtés d'un nouveau mobilier liturgique en bronze massif, de chaises en chêne ajouré et d'un mur-reliquaire contemporain abritant la couronne d'épines qu'aurait portée le Christ lors de sa crucifixion.
En mauvaise posture politique, le chef de l'Etat mise sur ce rendez-vous qu'il a érigé au rang des "fiertés françaises", comme les Jeux olympiques de Paris, prédisant un "choc d'espérance" après avoir tenu son "défi insensé" d'une restauration en cinq ans, qu'il avait lui-même fixé au lendemain de l'incendie.
Pour la réouverture, le diocèse de Paris dit ne pas vouloir d'un "grand show" et préfère parler d'un "magnifique signe d'espérance" teinté d'"humilité", selon le recteur-archiprêtre de la cathédrale Olivier Ribadeau Dumas sur France Inter lundi.
Dispositif de sécurité exceptionnel
Le programme connu à ce stade prévoit qu'après son discours en fin d'après-midi, l'ouverture des portes et le "réveil" du grand orgue, le président de la République assiste, avec une cinquantaine de chefs d'Etat dont la liste n'a pas été communiquée, à un office restreint présidé par l'archevêque de Paris Mgr Laurent Ulrich.
Le pape François a décliné l'invitation, lui préférant la Corse le 15 décembre.
Le président américain élu Donald Trump a de son côté annoncé qu'il se rendrait samedi à Paris pour assister à la réouverture de la cathédrale. Il s'agira de son premier déplacement à l'étranger depuis sa victoire à l'élection présidentielle du 5 novembre.
Un dispositif de sécurité exceptionnel, inspiré de celui des JO, est prévu dans un contexte de "très haut niveau de menace terroriste", selon la préfecture de police, avec 6.000 policiers et gendarmes mobilisés.
Seuls les invités pourront accéder au parvis dont la jauge d'accueil est de 3.000 personnes maximum. Sur les quais hauts près de la cathédrale, une "zone sera aménagée" pour accueillir un maximum de 40.000 personnes.
Un grand concert sur le parvis, organisé par France Télévisions et co-retransmis par Radio France, doit clore la première journée de réouverture, où le chant lyrique et la musique classique mettront à l'honneur la Maîtrise Notre-Dame de Paris et l'Orchestre philharmonique de Radio France, dirigé pour l'occasion par le maestro vénézuélien Gustavo Dudamel.
Parmi les artistes de renom également annoncés, figurent le pianiste virtuose chinois Lang Lang et la soprano sud-africaine Pretty Yende.
Une touche pop sera apportée par Clara Luciani, Vianney et Garou, trois artistes très populaires en France, aux côtés de la chanteuse star franco-béninoise Angélique Kidjo.
Pharrell Williams ?
Les spéculations continuent d'aller bon train concernant la présence de Pharrell Williams, star multidisciplinaire et directeur artistique des collections homme de Louis Vuitton.
Dimanche matin est programmée une messe inaugurale en présence de 170 évêques ainsi que les prêtres des 106 paroisses parisiennes. Une autre doit se tenir en fin d'après-midi pour le public, sur inscription.
Horaires d'ouverture allongés, offices spécifiques et pour le grand public se succèderont ensuite jusqu'à la Pentecôte, avec un nouveau système de réservation gratuit pour faciliter le flux des visiteurs, qui ont été 12 millions en 2017. Le diocèse en attend "14 à 15 millions" chaque année après la réouverture.
Bien que qualifiées rapidement d'accidentelles, les causes du sinistre n'ont pas été précisément déterminées.
Le chantier de reconstruction et de restauration aura mobilisé 250 entreprises ainsi que des centaines d'artisans des métiers d'art. Et coûté près de 700 millions d'euros financés par les 846 millions de dons qui ont afflué de 150 pays dès le lendemain de l'incendie.
L'argent restant sera "réaffecté à des restaurations urgentes des extérieurs" de la cathédrale, selon Philippe Jost, qui a repris les rênes de l'établissement public à la tête du chantier après le décès du général Jean-Louis Georgelin en août 2023.
Cinq choses à redécouvrir sur Notre-Dame de Paris
A quatre jours de la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, ravagée par un incendie le 15 avril 2019, voici cinq choses à redécouvrir sur ce monument national.
Maurice de Sully, le premier bâtisseur
Maurice de Sully veut élever la plus grande cathédrale du monde occidental : c'est le projet fou d'un homme né paysan et devenu évêque de Paris en 1160. Il n'est pas d'une grande famille mais il a l'appui du roi, Louis VII le Pieux, avec qui il a étudié à l'école cathédrale de Paris.
Le XIIe siècle est une période de conquête pour la chrétienté fragilisée par des hérésies, des schismes... Il faut exalter la puissance de l'Eglise, décrète ce grand prédicateur. La cathédrale, construite après quatre autres églises sur l'île de la Cité, sera alors, selon ses plans, la plus grande et la plus haute jamais érigée. Elle aura des tours, une flèche avec un coq au bout pour réveiller les chrétiens endormis.
La tradition date la pose de la première pierre en 1163. Maurice de Sully, disparu en 1196, n'était pas près de voir la fin du chantier estimée en 1345.
Entrepôt de vin
A la Révolution française, la cathédrale devient propriété de l'Etat. Un "Te Deum" y est entonné le 25 septembre 1792 pour célébrer l'avènement de la République.
Avec l'abolition du culte catholique en 1793, Notre-Dame devient un "temple de la Raison" avec son autel dédié à la déesse Raison. Les statues des rois et des saints de la façade sont décapitées ou débitées en morceaux éparpillés aux quatre coins de Paris.
Robespierre fait voter en 1794 l'existence d'un "Etre suprême" dont le culte se passe des édifices religieux. Les fêtes sont célébrées dehors.
Abandonnée et décatie, la cathédrale devient un dépôt de vin pour l'armée.
Napoléon y fut sacré
Pour son sacre, Napoléon choisit Notre-Dame, une première pour un souverain français. Avant lui, seul Henri VI d'Angleterre y fut sacré roi de France en 1431.
Il faut restaurer hâtivement la cathédrale. Des Parisiens sont expropriés et leurs maisons détruites pour dégager une grande place où sont élevées des tribunes.
Le bâtiment est blanchi à la chaux. A l'intérieur, sont accrochées sur les sols, les plafonds et les murs, des tentures parsemées des armoiries et des insignes de l'Empire. Elles empêchent la lumière naturelle d'entrer.
Trois rangs de tribunes sont installés autour de la nef et du choeur ; un trône impérial, surmonté d'un dais, est accessible par un escalier de 24 marches couvertes d'un tapis bleu et un trône est élevé pour le pape Pie VII pratiquement ravalé au rang de témoin de l'auto-couronnement de Napoléon.
La cérémonie immortalisée par le peintre David dure trois heures dans le froid glacial du 2 décembre 1804.
Sauvée par un roman
Lorsque le roman "Notre-Dame de Paris" paraît en 1831, l'opinion réalise l'état de décrépitude du joyau gothique. Révolution, pillages, incendies... le vaisseau de pierre n'est plus que l'ombre de lui-même. Les autorités songent même à l'abattre.
"Il est difficile de ne pas soupirer, de ne pas s'indigner devant des dégradations, des mutilations sans nombre que simultanément le temps et les hommes ont fait subir au vénérable monument", écrit Victor Hugo.
Sous sa plume, une émotion collective naît pour cette église personnifiée en une femme au corps de chaire et de pierre.
Le succès du livre est à l'origine de la création en 1834 du service des monuments historiques qui nommera Eugène Viollet-le-Duc comme architecte chargé de sa rénovation. Le chantier durera plus de 20 ans et conférera à la cathédrale l'aspect qu'on lui connaissait avant le drame de 2019.
Des chimères pas si médiévales
Si les gargouilles qui ornent les gouttières de Notre-Dame datent du Moyen-Age, les chimères, elles, ont été ajoutées par Viollet-le-Duc.
Singe, homme sauvage, dragon, pélican... Ces créatures fantastiques inspirées des caricatures d'Honoré Daumier observent Paris de leur œil mauvais depuis la balustrade supérieure. L'une d'elles, le Stryge, sorte de vampire ailé, cornu et tirant la langue, devient un symbole de la ville.
Ces chimères sont aussi le reflet du regain d'intérêt pour le Moyen-Age. Le pays est en pleine révolution industrielle mais l'architecte reprend des techniques de construction médiévales et crée de nouveaux éléments comme ces chimères et la flèche qui disparaît dans l'incendie de 2019.
Le 23 juin dernier, les chimères ont retrouvé leur place. Cinq d'entre elles avaient été détériorées par les flammes. La flèche a elle été reconstituée à l'identique.