L’effondrement du neuf se poursuit
Mois après mois, le plongeon dans l’abîme du logement neuf s’accélère. En tenant compte de la révision récente des données officielles, les mises en chantier reculent de 5% en 2022, puis de 24% en 2023 et encore de 23% en glissement annuel sur trois mois à fin janvier 2024. Or, l’évolution des ventes de logements ne permet aucun espoir d’amélioration à court ou moyen terme : elles abandonnent 24% en 2023 côté promotion immobilière -et même 38% hors ventes en bloc- ; elles s’effondrent de 41% en glissement annuel sur douze mois à fin janvier 2024 côté construction de maisons individuelles. La FFB confirme donc sa prévision d’un véritable crash en 2024, à environ 250.000 logements commencés, soit un ratio de 8 mises en chantier pour 1.000 ménages en France... comme au tout début des années 1950 !
La situation du non résidentiel neuf ressort à peine moins mauvaise. En glissement annuel sur douze mois à fin janvier 2024, les surfaces commencées abandonnent 15%. Comme prévu, la chute s’accélère, d’autant que les données des trois derniers mois indiquent un nouveau recul sur un an de 15% des surfaces autorisées. De plus, tous les segments de marché participent maintenant au mouvement d’ensemble. L’exception que constituait les locaux administratifs risque de ne pas avoir de suite puisque les permis se replient de 7% sur la même période. Le grand plongeon vers une année 2024 définissant un plus bas niveau historique à 22 millions de m2 mis en chantier se trouve donc, là encore, confirmé.
Une lourde menace évitée sur l’amélioration-entretien
Le début 2024 s’est révélé assez chaotique sur le marché de la rénovation. La chute des transactions dans l’existant, aussi bien dans le logement que dans le non résidentiel, constitue un arrière-fond très défavorable. À cela s’est ajouté l’impact catastrophique de la transformation profonde de MaPrimeRénov’. Alors que le financement de l’approche par geste(s) se trouve très nettement réduit au profit de la rénovation globale, cette dernière butte sur un volume bien trop faible de Mon Accompagnateur Rénov, point de passage impératif. Le résultat est connu : sur janvier-février 2024, le nombre de primes accordées chute des trois-quarts en un an. Le scénario 2024 de petite croissance de l’activité en amélioration-entretien retenu par la FFB et, au-delà, les objectifs même de transition écologique risquaient de s’assimiler à de doux rêves.
Face à la catastrophe annoncée, les ministres de la Transition écologique et du Logement, Christophe Béchu et Guillaume Kasbarian, ont enfin entendu la FFB et annoncé un fort assouplissement de l’accès à MaPrimeRénov’, notamment en ré-élargissant le champ de l’approche par geste(s). La FFB salue cette révision bienvenue, toute en soulignant que sa traduction opérationnelle prendra quelques semaines. Pendant ce laps de temps, le marché restera encalminé. Très probablement, la hausse d’activité que la FFB avait prévu pour 2024 se révèlera donc trop optimiste, alors même qu’ici réside le seul vecteur de croissance. À plus court terme, cette situation fragilise des acteurs, singulièrement les artisans dont les carnets de commandes n’excèdent pas quelques mois. Certains d’entre eux pourraient tout simplement se retrouver sans travail, notamment lorsqu’ils exercent dans l’isolation ou la pose de pompes à chaleur.
L’appareil de production s’adapte
Le rapide recul d’activité, amorcé dès la fin d’année dernière, se traduit en accélération des défaillances. Dans le bâtiment, la hausse ressort à plus 40% en glissement annuel sur trois mois à fin janvier 2024. De plus, ce mouvement concerne le gros-œuvre comme le second œuvre d’une part, toutes les tailles d’entreprises d’autre part.
L’emploi s’adapte également à la nouvelle situation. Le bâtiment a perdu 3.300 postes en 2023, dont 1.900 postes salariés. Et le mouvement s’accélère puisqu’entre les seuls quatrièmes trimestres 2022 et 2023, le recul atteint 13.300 postes. On ne dispose pas encore de données sur le début 2024, mais on n’identifie guère de raison motivant une amélioration de cette situation. Pour mémoire, la FFB craint la perte de 90.000 postes dans le secteur en 2024, si rien ne change.
Seules bonnes nouvelles, les coûts des matériaux et de l’énergie se stabilisent globalement, ce qui simplifie les calculs de prix « justes », et les délais de paiement clients semblent se réduire, après la brusque envolée de l’été 2023 qui pesait sur les trésoreries.
Comment sortir de l’ornière ?
Limiter l’impact de cette crise implique d’agir au plus vite sur le segment le plus réactif : l’amélioration-entretien. D’où l’urgence qu’il y a à réformer la mouture 2024 de MaPrimeRénov’ et de s’assurer d’un véritable essor de MaPrimeAdapt’, comme du programme de rénovation des écoles (EduRénov).
Il convient également de profiter à plein de l’assouplissement qui semble se confirmer sur le marché du crédit. Surtout si le reflux de l’inflation se confirme dans l’Union européenne et débouche sur une baisse des taux directeurs de la BCE à l’été. Aujourd’hui, le risque réside dans le fait que cette amélioration ne profite qu’aux meilleurs dossiers, c’est-à-dire plutôt à des ménages dotés de revenus élevés et souvent secundo-accédants. Deux mesures permettraient d’éviter une telle concentration : premièrement, une large réouverture du PTZ le ramenant à minima à son champ de 2023 ; deuxièmement, un assouplissement des règles fondamentales du HCSF, d’autant qu’on ne relève toujours pas de risque d’explosion de la sinistralité du crédit immobilier.
Alors que les crises se succèdent depuis la fin 2019, il importe enfin de limiter les risques de déstabilisation normative ou règlementaire. Au-delà de l’exercice de simplification annoncé par le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, la FFB demande donc un moratoire total sur ce champ pour quelques années. Cela inclut notamment la marche 2025 de la RE2020, que la fédération souhaite voire reportée à 2028, alors que les règles actuelles rangent la France au premier rang mondial en termes de performance écologique de la construction neuve.
Ces mesures s’avèrent d’autant plus indispensables que la crise du bâtiment pénalise d’ores et déjà lourdement l’économie française. De fait, selon les Comptes de la Nation de l’Insee, si les dépenses d’investissement en construction des ménages et des entreprises s’étaient simplement maintenues à niveau en 2023, le PIB eut progressé de 1,3% et non de 0,9%. En d’autres termes, la crise du bâtiment a amputé de près du tiers la croissance du pays. Et cela se poursuit en 2024.
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