En dépit de conditions très variables, la grande majorité des salariés souhaitent continuer à télétravailler de leur domicile ou d'un endroit extérieur à leur entreprise à raison d'un à trois jours par semaine, attestent plusieurs enquêtes.
L'occasion pour les entreprises de "repenser l'occupation et l'organisation de leurs espaces de travail", dit Pierre-Yves Guice, directeur général de l'établissement public d'aménagement de la Défense.
"C'est le cas pour presque toutes. Nombreuses sont celles aussi qui l'ont expérimenté avant la crise du Covid, qui les a confortées dans leur choix" au profit d'économies locatives, ajoute cet observateur privilégié du quartier d'affaires parisien. Il cite des "estimations" tablant sur "15 à 20% de demandes en espaces de bureaux en moins chaque année en Île-de-France après la crise".
A la Défense, "le loyer de référence" (bureaux) "est de 540 euros par mètre carré et par an (hors taxes, hors charges) pour des baux de trois, six ou neuf ans" qui "laissent peu de flexibilité aux entreprises". Nombreuses sont celles à se tourner vers des espaces de coworking (espaces de travail partagés par des salariés et des entreprises), louables en nombre de "postes" de travail, à raison de "500 à 600 euros par mois en moyenne" et facilement résiliables, précise à l'AFP Yannis de Francesco, directeur grands projets chez JLL, acteur du conseil en immobilier d'entreprise.
"Il y a toujours une bonne équation à trouver en termes d'économies", admet Séverine Legrix de la Salle, directrice du projet du tout nouveau siège social d'Orange à Issy-les-Moulineaux, envisagé dès 2015, confirmant une réduction des coûts "confidentielle" à la faveur du déménagement.
Congés, RTT, formations, déplacements, maladies... "Avant la crise", dit-elle, "entre 30 et 40% des postes du tertiaire étaient déjà inoccupés quotidiennement en Île-de-France". Chez Orange, 40% des salariés exerçaient déjà en télétravail, y compris les vendeurs et salariés des plateaux d'appel.
L'opérateur télécom a abandonné Paris pour "regrouper" ses équipes et "répondre aux nouveaux besoins" et "pratiques collaboratives" des 2.850 personnes qui fréquenteront son nouveau siège à l'avenir, selon la responsable.
"Très horizontal avec seulement huit étages, il est organisé autour d'un immense atrium couvert d'une structure vitrée, très végétalisé, et comprend un auditorium, trois restaurants dont celui d'entreprise, un espace sportif et nombre de cafétérias, machines à café", soit "30% d'espaces de réunion et de convivialité contre 10 à 15% auparavant", précise-t-elle.
"Beaucoup plus qu'avant la crise, venir au travail va devoir être générateur de valeur ajoutée", estime M. Guice. Cela "se traduit par une tendance à l'expansion du flex-office (pas de bureau attitré) avec moins d'open space et de plateaux traditionnels pour dégager des surfaces nouvelles dédiées aux lieux de rencontre, de création, de présentation".
"Rentabiliser les surfaces"
Certains grands groupes situés dans le quartier d'affaires "commencent à rapatrier ou à regrouper des filiales, des équipes" pour mieux rentabiliser leurs surfaces de bureaux à la Défense. "Dans certaines tours, une entreprise qui occupait dix étages envisage d'en abandonner un ou deux", et dans le même temps des entreprises basées dans des sites périphériques "envisagent de se réinstaller dans le quartier d'affaires car elles ont besoin de moins de mètres carrés mais des services qu'il offre", détaille M. Guice.
Benoît Serre, vice-président délégué de l'Association nationale des directeurs de ressources humaines (ANDRH), observe lui aussi "un mouvement de réflexion pour repenser les métiers, les rendre +télétravaillables+ et gagner en nombre de sites".
"Les petits sites, surtout, sont concernés par des fermetures. Dans les grands, c'est plutôt une réduction de mètres carrés, une réorganisation. Il va falloir trouver le juste équilibre entre le télétravail, attractif, et le maintien du service de proximité. Cela ne se pense pas uniquement en termes de réduction de mètres carrés", dit-il.
Car "la tentation de faire des économies sur la location de bureaux peut être préjudiciable à l'exercice du collectif de travail", met en garde Thomas Coutrot, chef du département conditions de travail à la Dares, le service statistique du ministère du Travail. "L'ultraformalisation du fonctionnement collectif risque de faire disparaître le fonctionnement informel, très important pour la régulation quotidienne", fait-il valoir.
Attentes fortes
"On ne reviendra pas au schéma antérieur", estime Sébastien Desideri, responsable des études stratégiques chez Malakoff Humanis, pour qui "le télétravail est généralisable".
"Moins de bureaux individuels, plus d'espaces de convivialité, mais aussi un travail sur l'acoustique - en raison de la multiplication des réunions en ligne - sont au programme", précise Jean-François Colle, directeur de l'environnement de travail au sein de ce groupe de protection sociale.
A la Société Générale, on "repense" aussi la donne. La banque transforme l'espace et ajoute "des espaces de coworking et de brainstorming (réflexion)", plus de "petites salles" de rencontre, dit Caroline Guillaumin, DRH.
On revient au bureau "pour le lien social mais aussi parce que tous les outils (Teams, Skype...) bloquent la créativité. L'objectif est d'avoir des espaces de convivialité. Quand les gens reviennent sur site, ils doivent retrouver ce qui leur manque à la maison", estime-t-elle.
A la tête de Freelance.com, spécialisée dans la transformation digitale, Laurent Lévy envisage de quitter la Défense et "réunir (ses) deux sites parisiens" dans un espace de coworking du 17e arrondissement.
"Nous ne réfléchissons pas en termes d'économies locatives mais les tours de la Défense ont tendance à favoriser le travail en silos (cloisonné). Les espaces libérés nous permettront d'aménager plus d'espaces collaboratifs". Objectif ? "Un mode de fonctionnement dans la durée avec seulement trois jours sur site et la totalité des équipes (220 personnes) en flex-office", dit-il.
"La crise a tellement ancré le télétravail dans les habitudes que les équipes attendent vraiment un autre mode de fonctionnement; c'est beaucoup plus profond qu'une question de quantité de jours de télétravail", insiste-t-il.