Le tribunal correctionnel de Marseille a continué lundi l'examen des manquements reprochés aux 16 prévenus jugés dans ce drame du logement indigne, qui avait fait huit morts le 5 novembre 2018. Et particulièrement dans les trois semaines précédant le drame, quand les visites d'experts et d'artisans se sont multipliées après les alertes de détresse des locataires qui n'arrivaient plus à ouvrir leurs portes et voyaient les fissures s'agrandir.
"A partir du 18 octobre, il ne m'apparaissait aucun signe avant-coureur me laissant penser qu'un effondrement aurait pu exister", a pourtant répété l'expert Richard Carta.
Ce jour-là les marins-pompiers avaient fait évacuer l'immeuble. Les locataires pleuraient, criaient, raconte l'ex-responsable de la Sécurité civile urbaine de la ville de Marseille. Ce qu'il voit l'inquiète, et notamment une cloison du hall d'entrée. Un expert est alors désigné en urgence par la justice administrative pour donner son avis sur l'existence d'un péril grave et imminent.
Richard Carta, aujourd'hui âgé de 66 ans, architecte expérimenté et reconnu, arrive à la tombée de la nuit. A partir de constats visuels, comme il est d'usage, il préconise la démolition-reconstruction de la fameuse cloison, l'étaiement du plancher du rez-de-chaussée et relève une fissure "inquiétante" sur la façade.
Mais il boucle sa visite en une heure, ne va pas voir la cave, ne pose aucune question aux locataires, n'interroge pas non plus les employés municipaux ou le syndic sur l'historique de ce bâtiment qui avait fait l'objet de plusieurs alertes depuis 2014.
"Du mal à assumer"
"Je ne suis pas allé dans cette cave et au demeurant, qu'aurais-je vu ?", explique Richard Carta, poursuivi pour homicides involontaires et blessures involontaires, rappelant que "le code de la construction ne prévoit pas de délai minimal" pour une expertise.
"C'est toujours pareil, quand on cherche pas, on trouve pas", lui répond sèchement le président Pascal Gand.
Dans la cave, l'expert aurait vu un poteau en état de désagrégation.
"Vous avez passé une heure, vous n'avez pas posé de questions, vous n'avez pas tout regardé", l'interpelle ensuite Me Céline Lendo, qui souligne son "manque de curiosité, d'intérêt".
Son client, le père de Simona Carpignano, cette Italienne de 30 ans décédée dans l'effondrement, avait lui noté, sans être expert, une inclinaison anormale de la cage d'escalier.
"C'est difficile d'entendre ce que j'entends et ça fait mal", crie Richard Carta, qui sort de ses gonds pour la première fois après plus de trois semaines d'audience où il a toujours manifesté beaucoup de respect vis-à-vis de la cour et des quelque 90 parties civiles.
A la fin de sa visite, l'expert avait certes formulé un avis de péril grave et imminent, tout en préconisant la réintégration des occupants à l'exception d'un locataire du premier étage.
- "Vous avez eu du mal à assumer que vous ayez donné l'ordre, la consigne, de réintégrer tout le monde sauf M. Rahmani ?", l'interroge le président.
- "C'est vrai que (pendant l'instruction), j'étais dans une position qui rend confus et où on se sent très mal", répond le prévenu, barbe blanche bien taillée.
La mairie, indirectement poursuivie via Julien Ruas, alors adjoint au maire LR de l'époque Jean-Claude Gaudin, avait suivi ces préconisations. Deux semaines et demi plus tard, l'immeuble s'effondrait, emportant huit personnes.
"L'expert propose, la commune dispose", a témoigné l'ex-présidente du tribunal administratif de Marseille de 2018 à 2012, citée par la défense de Monsieur Carta: "A l'époque, le document que faisait l'expert était un préalable nécessaire" pour qu'une ville puisse faire évacuer un bâtiment, a indiqué de son côté un autre expert-architecte.
Cette question centrale dans ce procès, qui doit durer jusqu'au 18 décembre, a depuis été tranchée puisque les municipalités peuvent désormais se passer de l'avis d'un expert pour évacuer un bâtiment jugé dangereux.