Quand Esther, propriétaire d'un appartement en Seine-Saint-Denis, a découvert que son syndic de copropriété prévoyait de faire un ravalement de façade sans y adjoindre les moindres travaux de rénovation énergétique, elle s'est insurgée et s'est heurtée à un mur.
Ses rencontres avec les membres du conseil syndical n'ont suscité que l'hostilité, ses e-mails, raconte-t-elle, "tombaient dans un trou"...
Avec sa vie personnelle et professionnelle qui ne lui permet pas de s'impliquer comme elle le voudrait dans le dossier, elle regrette d'avoir "toujours un temps de retard" sur les décisions du syndic.
"Je pourrais faire ma super militante, aller choper les coordonnées de tout le monde et aller embêter la terre entière, mais j'ai pas le temps", confie-t-elle, découragée.
Olivier (prénom modifié à sa demande), cadre parisien dans la transition écologique, s'est retrouvé dans la même situation, d'un conseil syndical qui approuve des travaux sans rénovation énergétique, comme c'est pourtant obligatoire depuis 2015.
"Je suis tombé sur un syndic +old school+, à trois ans de la retraite, qui était en mode +c'est pas comme ça qu'on fait et de toute façon ça marchera pas+", raconte-t-il à l'AFP.
Il est parvenu à stopper le projet, à ses yeux une "incurie climatique", en attaquant la décision en justice.
"C'est un choix personnel que j'ai fait, d'engager des frais juridiques pour mes convictions", dit-il. "J'ai ce luxe. Je suis un cadre supérieur, pas un ménage en précarité énergétique". "Si des gens comme moi ne le font pas, qui le fera ?"
Des années de procédure
Leur cas est symptomatique des embûches pour réussir une rénovation énergétique en copropriété, qui représentent 28% des bâtiments en France.
La difficulté vient d'abord de la forme même des copropriétés, où les décisions, qui se prennent en votant en conseil syndical, peuvent être longues et fastidieuses à adopter, surtout quand elles engagent des sommes importantes.
"Entre le moment où on rentre en relation avec une copropriété et le moment où les travaux sont votés, il se passe quatre ou cinq ans en moyenne", témoigne Christophe Dujardin, président de l'agence régionale Ile-de-France Energies.
Difficile de mettre tout le monde d'accord avec des propriétaires qui ont des projets, explique également Sébastien Catté-Wagner, expert en copropriétés à l'Agence nationale de l'habitat (Anah). "Vous avez des copropriétaires qui comptent vendre, des bailleurs-investisseurs qui n'ont pas envie de faire des travaux, des jeunes endettés pour qui ce n'est pas facile de payer 15.000 euros..."
A quoi s'ajoute le peu de lisibilité des différentes aides.
Contraintes et incitations
Pour accélérer la rénovation énergétique des bâtiments, pilier majeur de la transition écologique, l'Etat a en effet multiplié les mesures.
Les propriétaires de logements sont obligés d'effectuer un diagnostic de performance énergétique (DPE) s'ils souhaitent les mettre en vente ou en location.
Et pour les plus énergivores (étiquetés F et G), il est déjà interdit, depuis le 24 août, d'augmenter les loyers. A partir de 2023, ce sont des interdictions pures et simples de louer qui frapperont progressivement les passoires thermiques.
Côté incitatif, le dispositif-phare de l'Anah, lancé en juillet 2021, s'appelle MaPrimeRénov' Copropriétés. Il peut subventionner 25% du montant des travaux, à condition que les gains de performance énergétique soient conséquents (35% au moins).
Quelque 12.000 logements ont bénéficié du dispositif en 2021 pour un coût d'environ 70 millions d'euros.
Les agences régionales de l'énergie proposent également des prêts et jouent un rôle d'"ensemblier", soit de pilote global des chantiers.
"C'est de plus en plus discuté et vous allez voir pas mal de nouveaux services et acteurs. Je pense que les gros énergéticiens y réfléchissent", explique à l'AFP Carine Sebi, professeure à Grenoble Ecole de Management.
"Ce sujet de la rénovation énergétique, ça ne vient pas par conscience environnementale. Ça vient uniquement parce qu'on est contraint, soit parce que notre logement devient insalubre ou parce que notre facture d'énergie va exploser", ajoute-t-elle. "Il faut qu'on se saisisse de la crise actuelle liée à l'inflation pour valoriser les économies d'énergie engendrées par la sobriété mais surtout l'efficacité énergétique".