Si la fibre est devenue l’infrastructure télécom nationale de référence, certains équilibres semblent aujourd’hui intenables, menaçant les fondements du chantier initial du Plan France THD : égalité, pérennité, solidarité. Un nouvel horizon, sur la base d’un changement du pacte de la fibre en France, est largement plébiscité.
A l’heure des jeux olympiques, l’allégorie est naturelle… « La course de la fibre pour tous est bien engagée pour la France, avec 86% de locaux éligibles, soit 38 millions de prises dont 3,5 ont été déployées en 2023. Si le rythme de déploiement ralentit logiquement compte-tenu des difficultés rencontrées dans les derniers tours de piste, il faut rester concentrés pour fournir les derniers efforts » observe Philippe Le Grand, Président d’InfraNum.
Les dernières prévisions de l’Observatoire indiquent que la couverture FttH devrait atteindre 98% au niveau national en 2025.
Cette année un nouvel indicateur est introduit : celui du nombre de communes ayant atteint un niveau de complétude supérieur à 98%. En 2023, il s’établit à 36% en zone RIP et 10% en zone d’initiative privée.
Pour Antoine Darodes, Directeur du département Investissements Transition Numérique - Banque des Territoires : « Cet Observatoire 2024 souligne bien que si une grande partie du chemin a été déjà accomplie, il demeure des défis structurants pour achever ce grand chantier national et garantir effectivement un accès pour tous aux opportunités des nouveaux réseaux très haut débit (raccordements complexes, résilience). Dans cette optique, la Banque des Territoires, qui a déjà aidé à financer (investissement et prêt) le déploiement de la fibre à destination de plus de 16 millions de foyers et entreprises en zone rurale, entend bien mobiliser encore ses ressources (y compris en redéployant certains de ses investissements mâtures) dans une logique de péréquation pour garantir la cohésion de l’ensemble de nos territoires. »
Accélérer la fermeture du réseau cuivre
La commercialisation reste un sujet d’inquiétude de la part des opérateurs d’infrastructures et des collectivités qui unanimement constatent un « plafond de verre » autour de 70%.
Après un sprint à l’ouverture des réseaux (30% à 6 mois et 50% à 2 ans), l’essoufflement gagne tous les territoires au bout de 3 ans, qui stagnent alors à un taux de pénétration compris entre 50 et 70%. Les raisons sont variées : manque de connaissance du public sur la perspective d’extinction du cuivre, guerre du « churn » plus que de la conquête, réticences à migrer vers la fibre pour 20 à 30% de foyers, usages du type «mobile only»…
Quoiqu’il en soit, la dégradation de la rentabilité des projets doit encourager au maintien d’un cap ambitieux sur le calendrier d’extinction du réseau cuivre. La filière est prête à accélérer, ce qui permettrait de lisser la montée en charge inhérente à cette migration qui, si rien n’est fait, sera particulièrement élevée entre 2028 et 2030 (10 millions de locaux techniquement fermés par an sur cette période).
Besoin d’un horizon clair pour la filière
Pour Patrick Chaize, Président de l’Avicca et sénateur de l’Ain : « Les règles du jeu ont été fixées en 2015, avec la promesse de les revoir lorsque l’on aurait suffisamment de recul. De fait, elles auront permis de fibrer presque toute la France en 2025. Mais nos réseaux sont là pour des décennies, et ces règles ne sont plus adaptées pour les exploiter durablement. Nous allons droit dans le mur et nous y allons à très haut débit ! Il nous faut un nouveau pacte fibre pour nos territoires qui soit à la hauteur de ce qu’a été le Plan France THD en son temps. Et il nous faut plus largement un nouveau projet numérique pour la France, un plan "France Numérique 2030". »
Nouvelle infrastructure nationale de référence, la fibre repose sur des réalités parfois différentes entre zones urbaines et rurales. Les écarts de coûts de déploiement et d’entretien des réseaux sont objectivement constatés et se chiffrent parfois en multiples (exploitation 2 à 3 fois plus onéreuse en ruralité avec des déplacements éloignés, un réseau aérien 2 fois plus important, un linéaire par prise 3 fois plus long…). Dans le même temps, les abonnements et la qualité de service sont identiques partout en France. Au-delà de la solidarité entre les territoires, l’augmentation des coûts dans le secteur pousse les acteurs à revendiquer plus de souplesse pour maintenir les équilibres contractuels initiaux. Faute de quoi, la situation risque d’être intenable.
La question des raccordements complexes n’est toujours pas résolue non plus. Si le nombre de ces raccordements (1% en moyenne, soit 440.000) est légèrement revu à la baisse, ainsi que leur coût moyen (2.000 à 3.000€ / prise), le reste à financer pourrait s’élever jusqu’à 1,3 Md €.
Patrick Chaize et Philippe Le Grand partagent le même constat amer : « La solution de péréquation nationale – la mise en place d’une structure nationale d’investissement dans le génie civil - envisagée depuis deux ans et qui semblait à portée de main il y a encore quelques mois, n’aboutit pas faute de consensus unanime et de portage politique du sujet».
Côté résilience des réseaux, les collectivités ont parfaitement saisi l’enjeu. Un tiers d’entre elles a lancé un schéma de résilience (avec un cofinancement de la Banque des Territoires) et parmi celles qui ne l’ont pas encore fait, 55% le prévoient en 2025. Mais encore peu d’investissements ont été déclenchés pour une seule raison : l’absence de financements spécifiques (au-delà des prêts bonifiés que peut accorder la Banque des Territoires sous certaines conditions) et ce, alors même que l’équilibre financier de certains RIP est plus que menacé.
Les acteurs de la filière craignent également que les signaux virent au rouge côté ressources humaines. Malgré les 5% de croissance des effectifs annuels prévus et les nouveaux débouchés attendus, le secteur peine à préserver ses compétences et à en attirer de nouvelles. Le taux de remplissage des formations sur les infrastructures numériques stagne entre 50 et 75%. Tous considèrent qu’il est urgent de clarifier les compétences attendues et de travailler sur les passerelles vers les nouveaux métiers dans le cadre du CSF infrastructures numériques.
Une filière prête à relever les nouveaux défis du marché
Dans ce contexte, l’Observatoire annuel avance pour la première fois un chiffrage des nouveaux grands projets numériques des collectivités et des opérateurs privés.
Après la phase euphorique d’activité liée aux déploiements, le marché de la fibre va inévitablement baisser. Cependant, les acteurs du secteur tablent sur un niveau moyen de chiffre d’affaires stable et non négligeable, de l’ordre de 3 Mds € à compter de 2026. Car la transformation numérique des territoires est bel et bien engagée et ne s’arrête bien évidemment pas à la seule fibre optique. Les collectivités alimentent de nombreux projets de territoires durables et connectés, dont la majorité est prévue à court terme, d’ici 2026.
Parmi eux, l’IRVE (infrastructure de recharge des véhicules électriques) domine largement dans le poids et la croissance des 3 nouvelles activités phares (avec les projets de territoires connectés et durables et de vidéo-protection) pour les intégrateurs de la filière. En 2024, ceux-ci estiment qu’elle devrait atteindre environ 240 M€ et 550 M€ à compter de 2028.
Une certitude : en matière d’aménagement numérique, la mutualisation est devenue un mode d’accès et de fonctionnement central dans les territoires, dépassant le seul sujet des infrastructures.
L’international, qui représentait déjà 32 Mds€ en 2022, soit quasiment autant que l’investissement total dans le plan France THD depuis 10 ans, ainsi que la 5G et les réseaux mobiles privés (avec 9,2 Mds € cumulés entre 2021 et 2027) assureront également de nouvelles perspectives aux acteurs de la filière.
Lien vers l’Observatoire : https://infranum.fr/observatoire-du-tres-haut-debit-2024/