Exemple emblématique, des "friches culturelles" apparaissent par dizaines dans les grandes villes françaises et leurs environs. Ces grands espaces désaffectés - ancien hôpital comme les Grands Voisins à Paris, ex-usine comme la Halle Papin à Pantin (Seine-Saint-Denis) - sont loués pour un temps limités à des acteurs souvent associatifs ou culturels.
"On a une quinzaine de biens de ce type - entrepôts, gares - qui nous appartiennent et dont on n'a plus un usage immédiat", explique à l'AFP Benoît Quignon, directeur général de la filiale immobilière de la SNCF.
Le géant ferroviaire est aussi un géant immobilier: il s'agit du deuxième propriétaire foncier français. Il a particulièrement investi l'urbanisme temporaire: après avoir réinventé en halle gastronomique un espace de tri postal près de la Gare de Lyon - l'un des projets "Ground Countrol" -, il a inauguré cet été la "Cité Fertile" dans une ancienne gare de fret à Pantin.
"On fixe les règles du jeu au départ: ça peut durer six mois, neuf mois, la Cité Fertile c'est trois ans", précise M. Quignon. "On choisit le projet qui correspond le mieux aux enjeux du site. Parfois on a des idées qui sont géniales, mais on sent que l'équipe en face est un peu faible sur les enjeux budgétaires".
Sans déconnecter ses projets de la réalité économique, la SNCF affiche moins une logique d'investissement financier que d'optimisation d'un large patrimoine désaffecté.
"Au départ, c'était une manière de gérer les sollicitations qui sont très nombreuses", de la part d'acteurs demandant à occuper ces terrains, explique M. Quignon. "Et puis, on a une responsabilité d'entreprise: que ce que l'on a construit pour le pays, on se doit de le conserver et de le valoriser".
Le discours de la SNCF est représentatif de l'approche française du phénomène: il reste le fait d'acteurs publics qui préfèrent évoquer des enjeux d'intérêt général - mixité sociale, animation urbaine -, plutôt qu'économiques.
Tâter le terrain
A part la SNCF, les terrains appartiennent aux collectivités locales: c'est le cas de la soixantaine de lieux recensés en région parisienne, ou, ailleurs, d'endroits comme la friche Lamartine à Lyon.
Par contraste, le Royaume-Uni a vu la promotion immobilière prendre en main ce phénomène, y trouvant un intérêt économique dans un contexte d'effondrement du foncier à la suite de la crise de la fin des années 2000.
"On a eu ça pas mal sur le marché londonien: des promoteurs sont spécialisés et utilisent l'urbanisme temporaire pour rendre des terrains viables commercialement", explique à l'AFP l'urbaniste Lauren Andres, de l'université de Birmingham.
"Des petites entreprises n'ont pas les ressources financières pour acheter d'immenses terrains", ajoute-t-elle. "Elles prennent le risque d'aller sur des terrains plus difficiles, dans des quartiers pas forcément centraux, marqués par une forte proportion de logements sociaux".
En y accueillant d'entrée des occupants temporaires, le promoteur résout non seulement des problèmes d'entretien ou de sécurité, mais il tâte le terrain sur l'usage définitif du site et prépare l'esprit des riverains pour limiter les contestations éventuelles.
"La grosse différence, qui fait que ça met plus longtemps à s'implanter en France, c'est que l'aménagement y est très régulé alors que le promoteur reste roi en Grande-Bretagne", avance Mme Andres.
Quelques rares acteurs privés se spécialisent toutefois dans cette stratégie en France. C'est le cas du promoteur Novaxia, qui porte une trentaine de projets de ce type et présentait en juin son travail sur un immeuble parisien du XVIIIe siècle; il accueille start-ups et associations avant d'être transformé d'ici à 2021 en hôtel de luxe.
"Un bâtiment vide perd de sa valeur, pourquoi laisser des locaux vacants deux ou trois ans?", soulignait à cette occasion son président, Joachim Azan.
"L'immobilier aujourd'hui est très cher, on a atteint un point haut: l'enjeu des prochaines années, ça va être de créer de la valeur différemment", concluait-il. "C'est une question de business model qui doit être complétement revu".