Assureurs, courtiers, maîtres d'ouvrage, associations de consommateurs et promoteurs se rejettent depuis plusieurs mois la responsabilité de ces défaillances et de plusieurs autres dysfonctionnements.
Mais "seule la recherche du plus grand consensus permettra de progresser", a prévenu vendredi Jacques Chanut, le président de cette Fédération française du bâtiment qui organisait un colloque à Paris sur le thème "Vers une crise majeure de l'assurance construction ?".
"Si rien n'est fait", ces turbulences menacent à terme de "condamner" le régime d'assurance et d'indemnisation de la construction en France, met en garde la fédération dans un rapport présenté vendredi.
Un constat partagé par la plupart des intervenants lors de ce colloque qui, faute de se mettre d'accord sur tous les sujets, ont au moins affiché leur volonté de travailler de concert sur des remèdes.
"Il faut améliorer la communication entre nous", a reconnu François Malan, directeur au sein du groupe immobilier Nexity.
"Les assureurs sont partie prenante pour faire avancer le dispositif", a assuré Pierre Esparbes, directeur général de SMABTP, premier assureur français du secteur du BTP.
Défaillances en cascade
En France, les entreprises de construction sont tenues par la loi d'assurer leur responsabilité à l'ouverture de tout chantier. La couverture court pendant dix ans après la livraison du bâtiment et vise à garantir les dommages matériels les plus graves.
Au début des années 2010, certains courtiers se sont mis à proposer les offres à tarifs très agressifs d'assureurs basés à l'étranger sur le principe de la "libre prestation de service" (LPS). En pratique, cette disposition permet à un acteur d'exercer en France tout en n'étant soumis qu'aux règles du pays de son siège. D'où des contraintes bien moindres de solidité financière.
Problème, certains assureurs ont fait faillite, comme la compagnie Gable fin 2016 et d'autres se sont retirées du marché français, comme Elite Insurance en 2017. Les deux compagnies étaient respectivement agréées au Liechtenstein et à Gibraltar.
Le mouvement s'est accéléré en 2018 avec la liquidation du néo-zélandais CBL, qui contrôlait notamment le courtier français SFS, poussant le régulateur du secteur, l'ACPR, à appeler en mai à la vigilance tout en admettant sa relative impuissance.
Ces défaillances fragilisent des constructeurs contraints de devoir assumer seuls le coût d'éventuels dégâts.
En outre, en France, le Fonds de garantie des assurances obligatoires de dommages (FGAO) permet de prendre en charge une indemnisation en cas de défaillance d'un assureur construction. Ce mécanisme ne devait s'appliquer initialement qu'aux assureurs agréés en France et soumis au contrôle le l'Etat.
Mais depuis le 1er juillet, la justice européenne a étendu l'intervention du Fonds à la défaillance d'assureurs en libre prestation de service, perturbant ainsi les équilibres de l'édifice.
Harmonisation européenne réclamée
S'ajoutent à cela d'autres problèmes, ont souligné vendredi les différents acteurs lors du colloque organisé par la FFB.
Certains ont notamment pointé du doigt la difficulté d'une jurisprudence qui n'a cessé d'évoluer ces dernières années, de même que les normes réglementaires, au risque de brouiller les cartes et la visibilité pour les professionnels du secteur. D'autres se sont inquiétés d'une hausse significative des contentieux, facteurs de coûts pour le secteur.
En outre, "le développement insuffisamment maîtrisé de certaines techniques a aussi entraîné une sinistralité importante", estime la fédération du bâtiment.
Face à ces difficultés, le rapport présenté par la FFB plaide, entre autres, pour une clarification des règles d'assurance en France, une pénalisation des acteurs se livrant à des déclarations abusives ou injustifiées ou encore un meilleur contrôle des provisions réalisées par les assureurs.
En réponse, le gouvernement français va plaider au niveau européen pour une harmonisation des règles régissant l'assurance construction, a promis vendredi Julien Denormandie, le secrétaire d'Etat à la Cohésion des Territoires, présent lors du colloque de la FFB.
De son côté, Gabriel Bernardino, le président du superviseur européen des assurances (EIOPA), a souligné que "les questions relatives à l'assurance construction en France ont été inclues en priorité dans le plan de convergence de la supervision européenne pour les années 2018-2019".
Le superviseur a notamment promis de publier prochainement des recommandations publiques concernant le calcul des provisions pour l'assurance construction en France.
Les 5 propositions de la FFB
Après un travail d’étude sous la direction de Michel Piron, ancien député, la FFB fait cinq propositions pour faire évoluer le système :
- clarifier le champ de la responsabilité décennale ;
- pénaliser les assureurs dommages ouvrage lorsqu’ils jouent mal leur rôle de préfinancement rapide des désordres ;
- favoriser, par la tarification des compagnies d’assurance, les comportements responsables (mesures de prévention des risques, qualification des entreprises, SAV efficace, etc.) ;
- mieux contrôler les provisions de ces mêmes compagnies par une identification claire des risques souscrits en France sur la branche construction et des schémas de distribution (courtage, mandats) ;
- moduler fortement les contributions au fonds de garantie des assurances français en fonction du niveau des provisions constituées et des risques pris sur la construction en France.
Julien Denormandie, secrétaire d’État auprès du ministre de la Cohésion des Territoires, sensible au sujet, a pris l’engagement de le suivre et de le porter auprès de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, pour faire évoluer la situation.
Pour la première fois, Gabriel Bernardino, président de l’Autorité européenne des assurances et des pensions (EIOPA), a annoncé la publication de recommandations publiques sur les provisions des assureurs, avec un recensement affiné des activités à risques et une clarification du rôle des autorités de supervision. À cette fin, il demande de nouveaux pouvoirs pour l’EIOPA.
Pour Jacques Chanut, président de la FFB : « l’objectif était avant tout de faire connaître la situation et ses conséquences au plus grand nombre. Il faut maintenant, sur la base des avancées annoncées par l’EIOPA, déboucher rapidement sur des propositions concrètes. En ce domaine, seule la recherche du plus grand consensus permettra de progresser. »