D'un côté, une bataille médiatisée à Bordeaux entre les responsables de l'écosystème Darwin et un aménageur urbain autour d'un terrain occupé depuis plusieurs années, où des millions d'euros ont été investis pour transformer une ancienne caserne en un espace de travail, de divertissement et de commerce.
De l'autre, la destruction fin novembre de la tour Liebert à Bagnolet, d'où devront plier bagage les 65 artistes en résidence du collectif Wonder. Un deuxième déménagement en deux ans, cette fois vers une destination inconnue.
Friches artistiques indépendantes, friches culturelles publiques, projets commerciaux, espaces de travail: au total, entre 1.500 et 1.800 "tiers-lieux" existent en France, selon un rapport remis au gouvernement en septembre.
Parmi eux, les friches culturelles sont "l'expression de cette volonté populaire de refaire société autour de la culture" et de "refaire des choses ensemble dans une société qui, dans les années 1990, a poussé le curseur de l'individualisme très loin", explique Patrick Levy-Waitz, président de la fondation Travailler autrement, à l'origine du rapport.
L'occupation éphémère et à bas coût de lieux autrement délaissés assure le renouvellement constant des projets culturels alternatifs dans la ville, où les espaces institutionnels comme les musées occupent souvent des places de choix.
"Il y a quand même des pans entiers de nos territoires de la petite couronne parisienne qui sont délaissés", estime Mireille Alphonse, membre d'Est ensemble, établissement public qui met des terrains à disposition de friches culturelles à l'est de Paris.
Dans les quartiers périphériques, ces endroits deviennent "des rendez-vous de quartier, des lieux d'animation" qui "marchent extraordinairement bien", selon elle.
Pourtant, certains craignent un développement à deux vitesses, avec d'un côté les gros projets s'accaparant les espaces vacants pour en faire des lieux commerciaux et de l'autre, des projets à but non lucratif qui peinent à faire entendre leurs voix auprès des propriétaires et des institutions.
Marchandisation des friches
"Il y a un risque, aujourd'hui, de commercialisation et de marchandisation des friches", souligne Paul Citron, membre de la coopérative Plateau Urbain.
"Une friche culturelle comme le Wonder, où des gens ont leurs ateliers, produisent de l'art, font des expositions dans un quartier populaire, ce n'est pas la même chose qu'une friche culturelle qui serait dédiée uniquement à de la vente de bière", explique-t-il.
A l'époque, l'installation du collectif d'artistes à Bagnolet après la destruction de leur ancien lieu de travail à Saint-Ouen était "une nécessité, on n'avait pas le choix", raconte Nelson Pernisco, membre fondateur de Wonder, qui dénonce "un manque cruel d'espace en région parisienne" pour les jeunes artistes.
Pourtant, les bâtiments vides ne manquent pas: "il y en a des millions de mètres carrés vacants", rappelle M. Citron.
Le loyer annuel de 60.000 euros par an étant payé par les contributions des artistes pour conserver leur indépendance, le Wonder ne demande donc pas de subventions mais un meilleur accès aux espaces inutilisés pour les projets culturels à but non lucratif.
L'intervention publique est évoquée pour rétablir l'équilibre entre pénurie d'ateliers et abondance de lieux vacants, mais aussi pour éviter une commercialisation trop forte de ces espaces au détriment de projets à moindre rentabilité.
Sur ces enjeux, "la réflexion des pouvoirs publics est en cours", assure M. Levy-Waitz, estimant que la tension entre indépendance et institution est "saine" tant que "les deux morceaux du puzzle existent".
D'ailleurs, malgré les disparités de développement des friches culturelles, Nelson Pernisco n'est pas contre les initiatives à vocation plus commerciale comme Darwin. "On est ensemble dans le même bateau. Plus il y aura une diversité de propositions culturelles, mieux ce sera pour tout le monde", mais "il faut que ça soit équilibré", selon lui.
"On ne peut pas laisser l'occupation temporaire devenir le nouveau moyen de se faire du fric".