"Tant que les villes ne s'emparent pas pleinement de cette question, une grande partie des préconisations que nous avons faites pour lutter contre l'usage excessif des écrans par les plus jeunes resteront lettre morte", estime auprès de l'AFP le psychiatre Serge Tisseron, membre de la commission sur l'exposition des enfants aux écrans.
"Il faut absolument que les villes créent en nombre suffisant des espaces de jeu et d'échanges et ouvrent de façon systématique les cours de récréation et les gymnases des écoles aux enfants et aux familles le week-end", ajoute-t-il.
Dans son rapport remis à Emmanuel Macron le 30 avril, la commission écrans préconise notamment de "peupler" l'espace public d'alternatives aux écrans pour les enfants "et redonner à ces derniers toute leur place, y compris bruyante".
La commission juge "indispensable d'investir massivement dans le développement de véritables alternatives aux écrans" permettant aux enfants de "sortir de chez eux".
Elle insiste notamment sur l'importance d'aménager des aires de jeux dans tous les lieux d'attente (gares, stations de métro, abribus, aéroports) et dans les administrations et organismes recevant du public. Elle prône aussi la mise en place de rames dédiées aux enfants dans les trains.
Objectif: faire dérailler le "processus de retrait" des enfants des espaces publics observé depuis plusieurs décennies dans les villes occidentales. Un retrait imputé, entre autres, aux progrès techniques d'internet et des smartphones.
"La diffusion massive de la téléphonie mobile et de l'accès à Internet et aux réseaux sociaux" a rendu "de moins en moins nécessaire la coprésence physique aux pratiques ludiques et de sociabilité", relève Clément Rivière, maître de conférences en sociologie à l'université de Lille, dans une note publiée en mars 2023.
"Enfants d'intérieur"
Résultat, les enfants des grandes villes sont devenus des "enfants d'intérieur" --selon le terme employé pour la première fois par des géographes néerlandais en 2006-- et souvent accros aux écrans.
Face à ce constat, des municipalités ont tenté ces dernières années de réagir en menant une stratégie de "ville à hauteur d'enfants", à l'image de Paris, Lyon, Rennes ou encore Strasbourg.
"Il y a une vraie demande, on essaye d'y répondre au mieux", dit à l'AFP Céline Hervieu, conseillère déléguée en charge de la petite enfance à la mairie de Paris. "L'objectif à terme, c'est que toutes les familles puissent avoir un lieu à proximité pour des activités avec leurs enfants".
Elle cite notamment les ludothèques mobiles, le programme "samedi en famille" dans certaines crèches, l'ouverture de cours de récréation le week-end ou de "rues aux écoles", ces zones piétonnes aux abords des établissements scolaires.
Des initiatives saluées par Madeleine Masse, architecte-urbaniste engagée sur la question, qui y voit un "excellent point de départ".
"Mais il faut aller plus loin: on pourrait faire la même chose avec les cours des immeubles de bureaux, des espaces publics... Ce sont des m2 qui sont déjà là", pointe-t-elle. "Tant qu'il n'y aura pas suffisamment d'espaces pour les accueillir, les jeunes resteront chez eux et trouveront refuge dans les écrans."
Une analyse sur l'aménagement du territoire partagée par l'Unicef, qui a lancé en 2002 en France l'initiative "ville amie des enfants." A l'époque, seules 12 villes de France répondaient présentes. Plus de vingt ans plus tard, elles sont 300 à s'engager notamment sur l'aménagement urbain.
"Il y a une prise de conscience que l'enfant doit être de plus en plus inclus" dans la ville, relève Aurélie Calaforra, responsable du pôle programmes territoriaux à l'Unicef. Mais cela reste encore timide au regard des 35.000 communes de France. "Il n'y a pas toujours une politique pro-active pour s'assurer que les enfants ont bien toute leur place", note-t-elle.