Depuis 1910, son imposante façade art déco se dresse dans le quartier de Saint-Germain-des-Prés, face au Bon Marché auquel il doit son existence: Marguerite Boucicaut, propriétaire du premier Grand magasin de la capitale, avait fait ériger l'hôtel pour y loger fournisseurs et clients de province.
De cette Belle Epoque, les travaux titanesques de rénovation - chiffrés à 200 millions d'euros - ont permis de "ressortir et restaurer" fresques, mosaïques, vitraux et stucs originels, pour "sublimer tout ce qui était historique tout en arrivant à la fois à créer un hôtel contemporain", souligne à l'AFP Jean-Luc Cousty, directeur général de l'établissement.
Pour lui, "le pari est gagné, le Lutetia n'a pas perdu son âme, et une des grandes réussites de l'architecte Jean-Michel Wilmotte a été de remettre de la lumière naturelle partout".
L'hôtel accueillera jeudi ses premiers clients depuis quatre ans, dans un décor luxueux mais tout en sobriété: des couloirs en bois sombre d'eucalyptus, une piscine de 17 mètres de long plongée dans un clair-obscur apaisant, des lustres discrètement Art déco, et du marbre blanc partout: dans les chambres, chaque baignoire a notamment été creusée dans un bloc brut de 1,9 tonne.
Même si la brasserie dirigée par le chef Gérald Passédat n'ouvrira qu'à la rentrée, d'autres espaces de restauration sont proposés, comme le bar Joséphine dont les murs ont retrouvé leurs fresques d'antan, oubliées des décennies durant sous des couches de peintures et divers papiers peints. Un retour à la lumière qui a nécessité 17.000 heures de travail.
Entièrement rénové, l'hôtel actuellement classé quatre étoiles a lancé le processus pour en obtenir une cinquième, et tentera ensuite de décrocher le label "palace", dont dix établissements à Paris bénéficient comme le Plaza Athénée, le Bristol ou Le Peninsula.
Le Lutetia, "c'est une offre différente, qui ne nuira pas forcément aux autres palaces", estime Christian Mantei, directeur général d'Atout France, l'agence de promotion du tourisme hexagonal à l'étranger.
Prix moyen de 800 euros
M. Mantei évoque une "destination Rive gauche et Saint-Germain-des-Prés, avec une ambiance tout autour qui n'est pas le même Paris qu'on trouve aux alentours des autres palaces. Le Lutetia attire également une clientèle qui ne serait pas forcément allée dans un palace".
Pour Jean-Luc Cousty, le Lutetia "se singularise très clairement par sa localisation" car les autres établissements de luxe sont tous situés Rive droite. Et il a également "très peu, voire pas du tout, de clientèle moyen-orientale ou russe qui préfèrent le +Triangle d'or+" autour des Champs-Elysées.
Le passé de l'hôtel, détenu depuis 2010 par le groupe israélien Alrov, est aussi un élément différenciant: il a abrité les services de renseignement allemands pendant l'Occupation, "mais il a aussi accueilli à la Libération tous les réfugiés des camps de concentration et a également été le lieu de rendez-vous de écrivains de la +Lost Generation+", tient à souligner M. Cousty.
Côté prix, le Lutetia (et ses 184 chambres et suites) s'affirme également "plus accessible" que la Rive droite, "avec un tarif moyen de 800 euros".
Le contexte dans lequel l'établissement rouvre est clairement plus propice aux affaires qu'après les attentats de 2015, et le Lutetia ambitionne, "d'ici trois ou quatre ans", de "doubler" son chiffre d'affaires qui s'établissait à quelque 30 millions d'euros avant les travaux.
Mais au-delà des chiffres, Jean-Luc Cousty met aussi en avant "le lien émotionnel très fort des clients avec l'hôtel qui ressemble à ces établissements de bord de mer aux allures de paquebot, avec de très belles façades". Et de rappeler que l'emblème du Lutetia est comme pour la ville de Paris, dont il porte l'ancien nom, Lutèce: un bateau battu par les flots, mais qui ne sombre pas.