Ils ont signé il y a plus d'une décennie l'un des quelque 4.600 contrats de ce prêt libellé en francs suisses mais remboursable en euros, destiné à l'investissement locatif défiscalisé, qui vaut à la filiale de BNP Paribas, connue en France sous la marque Cetelem, d'être jugée pour pratique commerciale trompeuse et recel.
Afin d'acquérir un "studio au Mans" et "se constituer un petit patrimoine pour la retraite", Didier Gras a emprunté en couple 150.000 euros en juin 2008. "On nous a dit: +c'est indexé sur le franc suisse+, c'est la valeur sûre du marché, c'est sécurisé", témoigne-t-il à la barre.
Or, dans le sillage de la crise financière, l'euro a décroché face à la devise helvète et les montants à rembourser ont explosé. En 2014, cet ancien boucher en grande surface aujourd'hui retraité a décidé de convertir le prêt en euros, une option prévue dans le contrat.
Il restait alors 195.000 euros à payer, alors qu'il versait une mensualité d'environ 900 euros par mois depuis 2008. Il explique avoir finalement soldé le prêt avec l'argent issu de la vente de sa maison. "Ca a pesé lourd dans mon divorce, ma vie de famille", souligne cet homme de 68 ans qui continue à travailler "en interim".
"A la poubelle"
BNP Personal Finance est soupçonnée d'avoir dissimulé le risque de change au cœur de ces contrats, qu'elle ne commercialisait pas directement mais via des intermédiaires.
Condamnée en première instance en 2020 à 187.500 euros d'amende et à payer 127 millions d'euros en dommages-intérêts aux emprunteurs, elle conteste toute pratique frauduleuse et a fait appel.
Femme de ménage à la retraite, Martine D., 66 ans, qui ne souhaite pas que son nom apparaisse, raconte à la cour d'appel avoir été "démarchée par téléphone": un conseiller en patrimoine est venu chez elle "7-8 fois", des liens se sont tissés entre eux.
"Il nous a donné le prêt en francs suisses sans nous expliquer rien du tout, quand on a lu le contrat il nous a dit: +ne vous en faites surtout pas, faites-moi confiance, c'est un prêt sûr sûr sûr+, et il nous a entraînés dans ce gouffre financier", dit-elle.
Comme les autres parties civiles, elle affirme n'avoir à l'époque "pas du tout compris" qu'il existait un risque lié à la parité entre les deux monnaies.
Cette cliente de la BNP "depuis 1974", qui a emprunté 130.000 euros, devait encore une décennie plus tard 152.000 euros: "pendant 10 ans, vous mettez 900 euros à la poubelle tous les mois", lance-t-elle amèrement. La valeur du bien acquis avec le prêt est aujourd'hui estimée à 60.000 euros.
"Confiance trahie"
Alors aide-soignante, Muriel Letocart a quant à elle souscrit ce prêt avec son mari "pour sa retraite, pour nos enfants, mon fils handicapé".
"Ca aurait été marqué: +un risque de change sera à la charge de l'emprunteur si l'euro venait à baisser+, j'aurais compris. Moi j'appelle un chat un chat. J'ai relu l'offre de prêt encore, je ne vois rien noté dans ce sens-là", déclare-t-elle.
Douze ans plus tard, cette retraitée paye toujours ses mensualités et "financièrement, c'est de pire en pire". Il y a "la voiture au garage", mais aussi "les mutuelles, le gaz et l'électricité", décrit-elle sobrement en réponse aux questions.
Gilbert Pelini explique, lui, avoir voulu investir dans une résidence "senior" pour ses vieux jours avec son épouse et signé auprès d'un salarié de Cetelem, une "relation professionnelle" en qui il avait "confiance".
"La confiance a bien été trahie, et aujourd'hui on est, j'espère, à la fin d'un cauchemar. Ce qui s'est passé en 12 ans, on a hâte que ça s'arrête", lance-t-il.
Parmi les conséquences, cet ancien assureur de 75 ans explique avoir "été obligé de continuer à travailler" jusqu'à fin 2022. Son avocate précise: au total, le couple va payer 380.000 euros pour un crédit initial de 252.000 euros.