Les opposants sortent du bois
Le matin du 15 octobre, deux hommes lancent une offensive médiatique contre la direction d'Unibail-Rodamco-Westfield (URW), propriétaire notamment du Forum des Halles: Léon Bressler, qui a lui-même dirigé le groupe entre 1992 et 2006, et Xavier Niel, fondateur de l'opérateur Free.
Le groupe est dans une situation difficile et son cours de Bourse est au plus bas depuis les années 1990. La crise sanitaire l'a contraint à fermer pendant des semaines de nombreux centres. En réponse, la direction a annoncé pendant l'été une gigantesque augmentation de capital, de 3,5 milliards d'euros.
Mais les deux opposants, qui détiennent un peu plus de 4%, ne veulent pas de cette opération qui va diluer la valeur du groupe pour les actionnaires.
Ils estiment que le patron, le président du directoire Christophe Cuvillier, mène une stratégie à courte vue.
Car leurs reproches remontent à bien plus loin que la crise du virus. Pour eux, Unibail n'aurait jamais dû racheter l'anglo-saxon Westfield, une opération massive et emblématique de l'ère Cuvillier. Conclue en 2018 pour une vingtaine de milliards d'euros, elle a permis au groupe de mettre un pied aux Etats-Unis mais n'a jamais convaincu en Bourse.
Les opposants proposent un plan alternatif qui passe par la revente de tous les centres commerciaux américains. Quelques heures plus tard, la direction d'URW refuse. La bataille est lancée.
Combat pour convaincre les actionnaires
Une date sert de butoir: le 10 novembre. C'est là que les actionnaires du groupe doivent approuver ou non l'augmentation de capital. Les deux camps se lancent donc dans une lutte acharnée. L'objectif, c'est le soutien de deux tiers des actionnaires, seuil nécessaire pour entériner l'augmentation.
Le 22 octobre, une semaine après avoir déclaré la guerre, les opposants annoncent avoir renforcé leur position au sein du capital. Mais, à guère plus de 5%, ils sont bien loin de pouvoir peser à eux seuls.
Un type d'acteur devient alors crucial. Ce sont les cabinets de conseil aux actionnaires, d'autant plus influents que l'actionnariat est très éclaté. Fin octobre, les deux camps comptent publiquement leurs soutiens et, même si l'avantage va plutôt à la direction, chacun se dit bien parti.
Le 1er novembre, le groupe publie ses résultats trimestriels. Ils sont mauvais, avec une perte de plusieurs milliards d'euros sur l'année écoulée, mais certains observateurs jugent que la direction adopte un ton alarmiste pour justifier l'urgence de l'augmentation de capital.
Victoire des opposants
Le 10 novembre, les opposants gagnent sur toute la ligne. L'assemblée générale n'approuve pas l'augmentation de capital - à quelque 61% des votants, les deux tiers ne sont pas atteints - et vote pour l'entrée au conseil de surveillance de MM. Bressler et Niel ainsi que l'espagnole Susana Gallardo, soutenue par les deux hommes.
Cette victoire est une grosse surprise, comme en témoigne la réaction du titre en Bourse. Il prend plus de 15%, même s'il bénéficie aussi d'un contexte favorable sur le plan sanitaire avec l'annonce d'essais réussis pour un projet de vaccin du laboratoire Pfizer.
La direction renversée
Le 13 novembre, M. Bressler est élu à la tête du conseil de surveillance, équivalent d'un conseil d'administration. Le président sortant, Colin Dyer, reste membre mais quatre autres membres s'en vont, renforçant la position des opposants.
Là encore, c'est une surprise. L'annonce a lieu un vendredi soir et, une fois passé le week-end, Unibail s'envole à nouveau en Bourse.
Le soir du 18 novembre, URW annonce le départ de M. Cuvillier, dont la position apparaissait désormais intenable, et son remplacement à partir du 1er janvier 2021 par Jean-Marie Tritant. La victoire des opposants, désormais aux manettes, est complète.