Depuis 1998, de plus en plus de professionnels du secteur -agents immobiliers, syndics de copropriété et depuis un an, intermédiaires en location- sont assujettis à la réglementation de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme et tenus de signaler à Tracfin leurs soupçons en cas d'opérations douteuses.
Mais, peu zélés et mal formés, ils méconnaissent largement ces obligations et ont même échappé à tout contrôle jusqu'en 2009, faute d'instances compétentes pour sanctionner leurs manquements.
Ils risquent pourtant aujourd'hui jusqu'à dix ans d'emprisonnement et 750.000 euros d'amende s'ils sont épinglés par la Commission nationale des sanctions (CNS).
En 2016, sur 65.000 "déclarations de soupçon" faites à Tracfin, seules 84 émanaient d'agents immobiliers, a précisé son directeur Bruno Dalles, mardi. Cela paraît infime, rapporté aux 848.000 transactions réalisées dans l'immobilier ancien l'an dernier.
Or les sommes en jeu sont parfois gigantesques: selon le procureur de Nice, 500 à 750 millions d'euros d'argent clandestin aurait pénétré en France via l'achat de cinq villas de grand luxe au Cap d'Antibes par l'oligarque russe Souleïman Kerimov, mis en examen le 23 novembre pour "blanchiment aggravé de fraude fiscale".
Système de poupées russes
Pour aider les professionnels à repérer les transactions douteuses, le premier guide pratique publié en France à l'initiative de la RICS (Royal Institution of Chartered Surveyors), un organisme qui diffuse des bonnes pratiques dans l'immobilier et la construction, sort en librairies en janvier.
"L'immobilier face au blanchiment des capitaux et au financement du terrorisme", aux éditions PC, est cosigné par Maurice Feferman, directeur juridique immobilier de SwissLife Reim et Yehudi Pelosi, avocat et maître de conférences à Sciences Po.
Il détaille les obligations légales en matière de procédures, de contrôle interne, de formation, d'information, de vigilance et de déclaration de soupçons.
Il expose aussi les schémas de fraude les plus courants visant à dissimuler la provenance de fonds acquis de manière illégale et à les réinjecter dans l'économie officielle.
Très répandu, le "schtroumpfage" ou "smurfing", consiste à fractionner les fonds à blanchir en de nombreuses sommes inférieures au seuil de détection des logiciels anti-blanchiment utilisés par les banques - répartie entre des petits complices ou "Schtroumpfs", qui touchent une commission.
"Cela permet de blanchir quelques milliers ou dizaines de milliers d'euros issus du petit trafic de stupéfiants", explique à l'AFP Yehudi Pelosi. "Mais dans l'immobilier, le plus courant reste le dessous-de-table qui sert essentiellement à blanchir la fraude fiscale, et pour les montants encore plus importants, les +prêts adossés+ ou les +auto-prêts+".
En cas de dessous-de-table, acheteur et le vendeur d'un bien dissimulent une partie du prix d'une transaction immobilière par un accord secret, permettant le versement d'une somme d'origine illicite.
Quant à la technique du "prêt adossé" ("back-to-back-loan") elle consiste en le fait d'obtenir un prêt immobilier auprès d'une banque française, en apportant comme garantie des capitaux illicites déposés sur un compte dans un paradis fiscal.
Enfin l'"auto-prêt" ("loan-back") consiste à dissimuler l'origine de fonds par un prêt simulé - soit via un montage juridique avec une société civile immobilière, une société-écran ou un trust, soit via un homme de paille - où le prêteur et l'emprunteur ne font qu'un.
Pour un notaire ou un agent immobilier, "quand il y a un système de poupées russes, il peut être compliqué de remonter au bénéficiaire effectif, qui détient 25% du capital de la société", admet Maurice Feferman.
"Mais un faisceau d'indices doivent l'alerter: lorsque l'acquéreur ne visite pas le bien, s'il négocie à un prix différent de ceux du marché ou s'il refuse de donner la structuration de sa société". Le professionnel est alors tenu de faire part de son "doute sérieux" à Tracfin.