Le biopic "Barbara", la fresque historique "Un long dimanche de fiançailles", des superproductions comme "Hunger Games" ou la série "Versailles"... Ces studios à 15 kilomètres de Paris, dans le Val-de-Marne, collectionnent les têtes d'affiches.
Nombre de professionnels les considèrent comme "les meilleurs" de l'Hexagone. Car autour des huit plateaux, l'infrastructure de 30.000 m2 est "pensée pour le cinéma", explique à l'AFP leur directeur, Pascal Bécu.
Le passage couvert entre loges et plateaux protège costumes et maquillages des intempéries. Les immenses ateliers pour concevoir les décors, de la menuiserie à la tapisserie, sont juste de l'autre côté du couloir. Et Bry est l'unique studio français à proposer un "backlot" : une rue en plein air remodelable à volonté, au gré des films.
Pourtant, les studios sont "toujours sur le fil", souligne M. Bécu, qui les exploite depuis 2015 avec la société Transpalux. "Le problème, c'est la pression foncière".
Inauguré en 1987, ce village de l'illusion s'étend sur 12 hectares, entre les communes de Bry et Villiers-sur-Marne. Une opportunité immobilière rare pour construire des logements proches de la capitale et à 500 mètres d'une future gare du Grand Paris Express.
En 2013, le spécialiste de l'audiovisuel Euromedia, propriétaire d'alors, rechigne à rénover les studios et souhaite se concentrer sur ceux de la Cité du cinéma de Luc Besson à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Il vend le terrain de Bry à un promoteur immobilier, Nemoa, et interdit toute activité audiovisuelle après son départ : le site semble condamné.
Mais le monde du cinéma empêche ce clap de fin. Avec les associations de décorateurs, des réalisateurs renommés - Cédric Klapisch, François Ozon, Roman Polanski - se mobilisent, via une pétition, pour "sauver Bry-sur-Marne". Ces efforts permettent l'arrivée de l'exploitant actuel, Transpalux, locataire de Nemoa.
Nexity, sauveur ou fossoyeur ?
"On croyait tenir notre happy end", soupire Sabine Chevrier, réalisatrice du documentaire "Main basse sur les Studios de Bry". Lorsque, à la surprise générale, le géant immobilier Nexity rachète Nemoa fin 2017 : "ça relance toutes les incertitudes".
Début mars, la profession a failli s'étrangler. Dans une interview, le patron de Nexity, Alain Dinin, désignait Bry comme "d'anciens studios de cinéma". Des propos déformés, selon le groupe.
Si ces studios, qui offrent "un confort de travail sans équivalent en France", sont menacés, "il y aura forcément une nouvelle réaction de la profession", prévient Pierre Quefféléan, chef décorateur sur "Au revoir là-haut", auréolé d'un César pour ses décors construits à Bry.
Les perdre serait "incohérent", selon lui, au moment où le nouveau crédit d'impôt cinéma incite des films comme celui d'Albert Dupontel - qui devait tourner en Hongrie - à rester en France.
Nexity, lui, jure ne pas vouloir jouer les fossoyeurs. Le terrain est "à bâtir", mais les studios restent la "pierre angulaire" d'un projet "co-construit" avec collectivités locales et professionnels. Ses pistes : rénover l'existant, une solution difficile à exécuter sans interrompre l'activité des studios, ou bien reconstruire 100 mètres plus loin, puis détruire les studios historiques.
"Nexity est un bâtisseur, ils veulent faire du logement", redoute Bertrand Seitz, vice-président de l'Association des chefs décorateurs de cinéma (ADC). Selon lui, la reconstruction pourrait être un moyen d'acheminer les studios sur le territoire de Bry et de libérer la partie appartenant à Villiers-sur-Marne, où le maire serait plus ouvert à d'autres projets.
"Les PLU (plans locaux d'urbanisme) des deux villes ne permettent pas la construction de logements. Pour les changer, il faudra se lever de bonne heure", rétorque le maire de Bry, Jean-Pierre Spilbauer. L'édile divers droite veut croire que Nexity "a acté" la survie des studios.
Une étude a été lancée pour attirer d'autres entreprises autour d'un pôle audiovisuel. Elle sera déterminante : le loyer payé par Transpalux augmente chaque année et, sans personne avec qui le partager, l'exploitant des studios pourrait être déficitaire à l'horizon 2021.