Par un bel après-midi de samedi, sous le cui-cui des rouges-gorges, quelque 200 manifestants déambulent pancartes en main dans les allées du bois de Vincennes pour se recueillir au pied de vieux chênes pédonculés. Leurs vénérables troncs sont ceints d'un ruban de crêpe noir, en signe de deuil.
Car sous cette portion du bois devrait passer, à horizon 2035, une nouvelle section du métro.
Les autorités souhaitent prolonger la ligne 1, qui aboutit actuellement au château de Vincennes, de 5 kilomètres et trois stations dans les banlieues orientales de Paris.
Ces travaux nécessitent l'abattage d'arbres sur un petit segment du bois de Vincennes, à la lisière nord de ce poumon vert classé. Même si d'autres essences seront replantées ultérieurement, ce point cristallise l'opposition au projet, pour lequel l'enquête publique ouverte fin janvier s'achève mercredi 2 mars.
Cette forêt, Cécile Toison en est familière. Au petit matin comme tard le soir, cette riveraine de Vincennes la traverse sur son vélo pour prendre ou quitter son service à l'hôpital.
En chemin, "je croise le fameux renard, le fameux hérisson, le fameux écureuil. De quel droit aujourd'hui se permet-on encore d'avoir cette suprématie sur le monde animal ?" s'inquiète auprès l'AFP cette infirmière puéricultrice de 46 ans, venue manifester contre le chantier prévu.
La pétition antitravaux a recueilli 65.000 signatures.
Mais dans ce dossier, aucun des deux camps n'a le monopole de l'écologie.
Du côté des défenseurs de l'extension de la plus ancienne ligne de métro de France, inaugurée en 1900, on rappelle qu'elle doit désenclaver plusieurs quartiers de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne et réduire ainsi le bilan carbone de leurs habitants.
Moins de voitures
Sur les hauteurs de Montreuil, le quartier populaire de Bel Air-Grands Pêchers, marqué par un fort taux de chômage et un important programme de rénovation urbaine, bénéficiera ainsi de sa propre station. Celle-ci mettra la gare de Lyon à 15 minutes, contre 35 en moyenne avec les transports actuels.
Le métro "permettrait d'une part de réduire l'usage de la voiture, et d'autre part plus de liberté pour les habitants de se déplacer, de travailler, d'étudier", pointe Haby Ka, conseillère municipale (PCF) de Montreuil et élue du quartier.
"Des gens nous disent +ils nous parlent du bois mais c'est juste un prétexte, ils ne veulent pas voir les banlieusards prendre la 1+", relate-t-elle, "c'est un peu un enjeu de lutte des classes."
Envisagé depuis le milieu des années 1990, ce programme s'inscrit dans une tendance plus générale d'extension en petite couronne des lignes de métro qui se sont arrêtées pendant des décennies aux portes de la capitale.
Signe des passions que suscite l'arrivée du métro, un soir de mi-février, des centaines de curieux convergent sur un gymnase de Fontenay-sous-Bois pour une réunion d'information.
Le long des rues, des ballons jaune canari - couleur de la ligne 1 – sont accrochés aux panneaux et lampadaires, comme pour fêter un anniversaire.
Des dizaines de personnes restent bloquées devant la salle par le service de sécurité. A l'intérieur, l'ambiance est électrique. On applaudit, on hue. "Pour ceux qui mènent un combat d'arrière-garde, il faut penser aux humains !" s'insurge un homme. "Déni de démocratie !" crie un militant pro-arbres.
Le président de la commission d'enquête publique tente de calmer les esprits : "ce n'est pas un forum, on est entre gens responsables..."
D'un coût annoncé de 1,5 milliard d'euros hors-taxes, le prolongement de la ligne 1 doit transporter 95.000 voyageurs par jour. Les travaux sont actuellement prévus pour être réalisés entre 2028 et 2035. Mais gare aux perturbations...